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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Depths (épisodes 1 à 5 + histoires courtes) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il contient les épisodes 6 à 10 de la série "Concrete", initialement parus en 1988, ainsi que les histoires courtes parues dans les numéros 14 à 22 de "Dark Horse presents", et le numéro spécial "Concrete color special". Tous ces épisodes sont en noir & blanc, écrits, dessinés et encrés par Paul Chadwick. le tome commence par une introduction de 2 pages, écrite par l'auteur, donnant des éléments de contexte et d'intention sur ces épisodes.

Chacun des épisodes et des histoires courtes constituent un récit complet. le lecteur retrouve Concrete (Ronald Lithgow), personnage principal de chaque histoire, ainsi que Larry Munro (son secrétaire particulier) et Maureen Vonnegut (la biologiste qui étudie Concrete). Dans le premier épisode, Concrete et Larry Munro séjournent dans une ferme au bord de la faillite pour les aider aux travaux de réparation des tracteurs, et aux travaux agricoles. Larry se lie avec la jeune fille de la maison, Concrete a la conviction que cette famille cache quelque chose.

Par la suite, Concrete, Larry Munro et Maureen Vonnegut doivent faire face à une poussée inattendue sur le front de Concrete, et à la curiosité de la journaliste Tanny Hill. Puis ils partent pour un voyage au Tibet, afin d'aider à la construction d'un pont pour piéton, en poussant jusqu'au Mont Everest. Enfin Concrete apprend que sa mère est mourante.

Pour pouvoir apprécier cette série, il faut garder à l'esprit qu'il ne s'agit pas de récits d'aventure. Paul Chadwick a doté son personnage principal d'un corps de pierre (plutôt de béton souple) mais sans présence d'autre élément fantastique ou surnaturel dans la série. Ronald Lithgow n'était pas un bagarreur ou un combattant, et il n'est pas devenu redresseur de torts à grands coups de poing. Sa carapace de béton le coupe de son humanité dans sa dimension physique, et il cherche à employer ses nouvelles capacités de manière à apporter son aide, ou à réaliser des exploits qui lui étaient impossibles auparavant.

Sous réserve d'avoir cette conception en tête, le lecteur peut alors retrouver avec plaisir cette narration à tendance contemplative et introspective, centrée sur Concrete. Paul Chadwick prend soin de construire chaque épisode comme une aventure, autour d'une action marquante. Il n'y a pas d'épisode dans lequel Concrete passe tout son ton assis sur son fauteuil de parpaing à rêvasser. Ainsi il est possible de voir Concrete utiliser sa force pour les travaux des champs, comme pour entreprendre l'ascension du mont Everest.

Dans les 2 cas, Paul Chadwick surprend son lecteur avec le bon niveau de recherches qu'il a effectuées. Il ne se contente pas de montrer Concrete en train de tirer ou de pousser un engin agricole. le scénariste développe un planning de travaux pour remettre à niveau l'exploitation de la ferme. Dans le cas de l'alpinisme, il expose les précautions que Concrete prend pour éviter de déranger d'autres grimpeurs.

En tant que dessinateur, Chadwick ne ménage pas non plus sa peine pour montrer au lecteur ce qui se passe. Il effectue sa tâche de costumier avec rigueur, variant les tenues des individus normaux et les adaptant au climat et au pays (il n'y a qu'une fois sous une tente en pleine montagne qu'une tenue semble un peu légère). Il est un chef décorateur attentionné et soigné. Il sait représenter le bon accessoire au bon endroit, avec une précision suffisante pour qu'il ne soit pas générique (par exemple les tracteurs de la ferme, ou encore l'équipement d'escalade de Concrete). Il dessine dans le détail chaque environnement qu'il s'agisse de l'intérieur de la ferme, des champs, de l'aménagement intérieur de la maison de Concrete (avec un mobilier adapté à son poids de 1.200 livres, soit environ 540 kilogrammes), d'un chemin de haute montagne, ou encore des jardins de pavillons de banlieue.

De la même manière, Chadwick représente avec une certaine simplicité élégante les personnages normaux, et avec une forme de poésie la silhouette massive de Concrete. Dans la deuxième histoire, il arrive quelque chose de pas banal à Concrete : il lui pousse des cornes. Chadwick fait du développement de ces excroissances un entrelacs délicat, très esthétique.

Le lecteur se laisse porter par ses images faciles à lire, denses sans être massives, avec quelques belles utilisations sporadiques d'aplats de noir. Il apprécie de côtoyer ces individus aimables dans leur intimité, sans qu'ils ne soient fades ou trop gentils. Il suit des intrigues dans lesquelles il n'y a pas de bons ou de méchants, mais des êtres humains aux motivations complexes, avec chacun leur propre histoire. Il accepte les rebondissements un peu trop romanesques (un meurtre, un enlèvement en hélicoptère), retrouvant avec plaisir le cours plus posé des récits après ces moments plus vifs.

Le lecteur se rend compte que Chadwick avait déjà des convictions écologiques affirmées, présentées sous une forme constructive, plutôt que simplement critique. Il se rend compte que les tribulations de Concrete l'amènent régulièrement au contact de la nature, non pas un milieu naturel idéalisé, mais un environnement naturel concret.

Au fur et à mesure des histoires, le lecteur prend conscience qu'il apprécie de plus en plus le personnage central hors du commun. Sa carapace de pierre le rend à l'épreuve de toute forme de douleurs physiques (ou presque), tout en le coupant de l'humanité, une forme de carapace protectrice, mais également un mur érigé entre lui et les autres. Cette condition extraordinaire amène Concrete à s'interroger sur ses relations avec son entourage sur ce qu'il souhaite faire de sa vie pour mettre à profit ce corps extraordinaire, à regarder d'un point de vue différent ses souvenirs quand il était un être humain. le lecteur prend plaisir à ce confort généré par cette sécurité physique et cette forme de retrait de la condition humaine.

Avec ce deuxième tome, le lecteur éprouve un grand plaisir à regarder la vie quotidienne d'un point de vue différent, à prendre le temps de regarder la condition d'un autre oeil. Paul Chadwick prend la précaution de continuer à inclure quelques péripéties dans ses histoires pour être sûr de ne pas perdre l'attention du lecteur, tout en mettant en scène des relations interpersonnelles délicates, nuancées et fragiles. Chadwick évite les ornières de la sitcom et de la comédie dramatique, pour une approche naturaliste et mesurée, faisant émerger le caractère précieux de ces moments éphémères.
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