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Critique de ged7fr


C'est un livre à la fois intéressant et décevant. Il rappelle beaucoup de bases sur comment la science fonctionne ou devrait fonctionner. Mais la seconde partie est assez confuse. J'aurai beaucoup de critiques à faire. D'une part, parce que je ne partage pas le point de vue de l'auteur. D'autre part, parce qu'il y a un tel mélange entre réflexion métaphysique de la science et réflexion sur la science en tant que discipline, notamment social, que ça en devient incompréhensible.

Mais je vais me concentrer que sur une partie (sur la base de notes que j'ai pris en cours de lecture)…

La théorie "objectiviste" de Chalmers ne me semble pas répondre à la réalité des choses.

De son point de vue on peut mesurer la pertinence d'un programme scientifique par rapport à un autre en mesurant le nombre d'opportunités qu'un programme peut offrir. Ces opportunités se basent sur les outils théoriques disponibles et sur les capacités expérimentales. En gros l'invention du calcul différentiel et du télescope offrait plus d'opportunités au programme Newtonien que le programme Aristo-Ptoléméin qui végétait depuis 1000 ans. En ce sens la théorie objectiviste s'applique bien.

Mais la situation "savante" pré-moderne était distincte. Certes le poids de l'église, et peut-être de l'aristocratie, de ses tabous pesaient sur les savants de l'époque. Mais en général ces savants faisaient preuves de suffisamment d'indépendance intellectuelle et d'indépendance financière (ou de mécènes fidèles) pour en effet mettre en concurrence et choisir "librement" le programme scientifique à investir. D'ailleurs ceux qui ont choisis le programme traditionnel sont désormais les oubliés de l'histoire.

La science moderne demande beaucoup plus d'investissement financier et intellectuel. L'aventure personnelle d'un savant devient rare. Il doit s'intégrer dans un écosystème fait d'écoles, d'universités, de laboratoires, de centre de recherche, de communautés plus ou moins grandes de scientifiques avec lesquelles il doit s'accorder et plus souvent suivre. Intégrer ces espaces se fait souvent par cooptation de paires déjà en place et souvent distingué. Obtenir les moyens de sa science dépend de la disponibilité des instruments scientifiques, de plus en plus souvent complexe (nécessitant une armée de techniciens) et coûteux. de plus, ceux qui financent ces espaces et ces instruments (États, entreprises, fondations) le fond avec des arrières-pensées ou des buts assez définis et souvent en maîtrisant le risque, en grignotant les marges plutôt qu'un grand bond dans l'inconnu. le système dans sa globalité attend en premier lieu des découvertes (éventuellement ouvrant la voie à des applications) et non à des réfutations des théories à l'affiche.

Si Kuhn a bien mis en évidence un facteur sociologique, il y a aussi bien un facteur économique (au sens large) en jeu.

La crise principale de la science est certainement la canalisation des idées et le reniement d'idées trop risquées, trop spéculatives. Si elles peuvent bien être pensées, voire publiées, elles sont certainement trop faibles pour un travail théorique et expérimental poussé. Une idée n'est pas (encore) une théorie, et c'est plutôt le haussement d'épaule qui les accueillent. Il suffit de voir l'expectative du monde scientifique devant les promesses de la théorie des cordes (qui ne mêne finalement à rien d'un point de vue théorique – puisque tout est possible – et d'un point de vue expérimental), ou la matière noire qui ne cesse de nous échapper. Mais ces sciences « bloquées » offrent encore de nombreuses niches d'opportunité. Serait-ce de la mauvaise science ?

De plus, les effets sociologico-économiques ont même démontré que l'on pouvait avec succès promouvoir de la mauvaise « mauvaise science ». Il ne faut pas oublier que la France est aussi une des sources du climato-scepticisme. On peut se rappeler que le groupe Allègre-Courtillot a mis en doute la science climatique synthétisée par le GIEC, sur la base d'arguments subtiles et faux et de beaucoup d'argument d'autorité. le fait que les budgets alloués aux sciences de la Terre diminuaient face aux sciences climatiques n'est probablement pas étrangère aux motivations de leur "climato-scepticisme". Je pense qu'avec le recul on verra confirmer les mêmes causes et les mêmes effets de la mauvaise science suite au événements ahurissants de la période COVID, avec en tête de gondole le professeur Raoult.

Chalmers parle d'une organisation de la science idéale, qui a peu à voir avec la réalité, ou alors il propose un outil (une grille de lecture) qui permettrait une exploration de l'histoire des sciences à certaines époques. Chalmers a, je crois, parfaitement conscience des limites de sa théorie : d'une part il le dit lui même avec le résumé des mêmes arguments que j'ai présentés, et dans son excellente critique de la théorie de Feyerabend (le punk de la philosophie des sciences). Il y a une sociologie et une économie de la science en particulier, et des savoirs en général. Mal les définir/critiquer ou s'abstenir de les définir/critiquer pour Feyerabend (« tout est bon »), c'est finalement perpétuer ce que l'on critique, le dévoiement et la domination (social et de sa pensée).
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