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Critique de BiblioJoy


Yasmine Chami livre un roman introspectif, les révélations intimes d'une femme abandonnée par son mari, les meurtrissures de l'abandon. Naufrage et renaissance d'une femme blessée.

« Qui n'est pas réfugié de quelque part ? D'une enfance, d'un amour, de sa propre jeunesse enfuie, des liens cassés, d'un pays en guerre, d'une perte qui n'a pas de nom ? »

C'est dans l'aéroport de la ville lumière – en escale pour Sydney depuis le Maroc - que Médée est abandonnée par son mari Ismaël, la plongeant dans une sombre épreuve de douleurs et de peines.

Médée, mariée depuis plus de vingt-cinq ans, mère de trois enfants, est envahie par de fragiles pensées mouvantes, submergée de chagrin, encaissant la violence du choc.

Lâchement laissée là par Ismaël, elle appréhende de renouer avec le mouvement, craignant de quitter une situation léthargique, cet instant sur pause – une absence à soi-même - avant d'éprouver l'abandon brutal et soudain.

Rupture acérée et nette, car le chirurgien renommé qu'est Ismaël agit comme il sait faire, trancher vif dans la chair comme au scalpel, mesurant « avec une précision maniaque la portée de son geste pour défaire les liens inextricables… »

Il y a ce rêve incessant qui revient et s'impose à elle…, prémonitoire, le vide, la tempête, la chute…
C'est la violence de l'abandon contenue dans la solitude d'une chambre d'hôtel, et Médée l'assimile dans son coeur aimant et incisé. Belle femme assaillie par le chagrin, elle ressent sa grâce envolée, Ismaël a fui, et Médée qui est portée par « l'intuition de la beauté, pas son évidence » sent sa beauté se perdre, prête à s'enfuir.

Un abandon subi et l'expression d'une exploration chirurgicale du ressenti de Médée, qui tient à éprouver au fond d'elle-même la douleur « je cherche le silence et la nuit pour pleurer ».

C'est à l'image de la pierre, du marbre, de la terre, du bois, qu'elle travaille et façonne avec ses outils, ses fils de chanvre, d'acier, de laine, car Médée est sculptrice, elle donne vie, de ses mains, à ses créations artistiques ; Ismaël, neurochirurgien, répare et sauve de ses mains des vies.
Médée oscille sur un fil, funambule …

Le départ d'Ismaël plonge Médée dans des abysses affligeants de souffrances. Elle semble comme ses « créatures de pierre gisant couchées » de son atelier.
Et telle une devineresse des temps antiques, Médée voit clair en la décision d'Ismaël et ce qu'il adviendra de lui…
« Ismaël réorganise la chair vivante depuis trente ans, il intervient au coeur des cellules endommagées, il coupe, il tranche, et là, tout le vertige de Médée gît dans cette certitude : il s'est trompé, il a coupé ce qui permet la vie, les liens ramifiés, souterrains, subtils, profonds qui les unissent mais aussi organisent ce qu'ils sont, non seulement l'un pour l'autre mais aussi l'un sans l'autre, chacun investissant dans l'espace où s'exerce sa propre maîtrise l'énergie fluide, chaude, générée par cet amour déployé depuis si longtemps ».

Dans les réminiscences du passé, sanctuaire intérieur d'errance de la mémoire, fuite incontrôlable et tourmentée, Médée entame sa traversée – enjeu de sa survie – des nuits et des jours à accueillir cette désolation imposée, vide sidéral, fracas vertigineux, meurtrissure. « (…) fracassée, allongée béante sur ce lit anonyme (…)».

C'est une trahison incompréhensible et dévastatrice qu'elle analyse, disséquant ses pensées, affrontant pleinement sa colère, intégrant son chagrin, pour sortir de l'abîme grâce à l'art qui lui insuffle puissance et résilience.
Puis il est des rencontres dans la vie, qui réveillent, qui révèlent en nous ce que nous sommes. L'ultime sursaut.

Médée saura-t-elle percevoir la lumière qui surgit, l'élan de vie instinctif, sentir le souffle vital, extirper de ses mains en sculptant le chagrin, les pertes, sublimant une métamorphose en espoir, vie, amour universel.
La force créatrice libératrice capable de « faire surgir la beauté au coeur du désastre ».
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Une écriture subtile et sensorielle, sophistiquée et intime, qui décrypte toute la complexité du sentiment amoureux dans la force du lien. Très esthétique, de toute beauté.

J'avais pu découvrir l'auteure grâce à Babelio avec « Dans sa chair » l'histoire de cet abandon du point de vue d'Ismaël.
J'ai beaucoup aimé « Médée chérie » - le point de vue de Médée – un premier volet qui a ma nette préférence.
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La main est l'instrument des instruments (Aristote).

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