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Critique de berni_29


L'oeuvre de Georges-Olivier Châteaureynaud est singulière, ou plutôt il convoque le singulier dans des histoires a priori ordinaires. le Jardin dans l'île n'échappe pas à cette rencontre.
« Le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier" nous disait Georges Clémenceau. En matière de fantastique, la fascination, le petit frisson de sensation qui nous emporte, reconnaissons-le, c'est lorsque le quotidien, au moment où nous nous y attendons le moins, commence à basculer dans l'envers du décor et nous renverse avec.
Les dix nouvelles qui composent cet ouvrage sont plutôt courtes, chacune est constituée de quelques pages seulement, hormis la dernière, véritable note finale ostentatoire, qui scelle définitivement le texte de façon onirique. Cette dernière nouvelle occupe pas moins de quarante-quatre pages soit à elle seule plus d'un quart du livre. Se déroulant dans l'enfermement d'une forteresse dont il est impossible de s'échapper, elle m'a fait penser à l'attente absurde du Désert des Tartares de Dino Buzzati ou bien au silence magique du Rivage des Syrtes de Julien Gracq.
Nous trouvons de tout dans le jardin dans l'île, un peu comme la nouvelle intitulée le Courtier Delaunay. Ici un courtier pour antiquaires est capable de dénicher systématiquement et contre toute attente l'objet impossible à trouver. Forcément cela émerveille, puis finit par intriguer, voire agacer son client. Nous aussi...
Le Jardin dans l'île est une prose poétique et baroque, silencieuse et absurde.
Une des premières nouvelles du recueil nous décrit une vieille dame qui veut à toute force boire une dernière fois un Bordeaux millésime 1940, année de la débâcle qui lui rappelle des souvenirs d'une très grande mélancolie.
Plus loin, nous venons aussi à la rencontre d'une maison en proie aux incendies.
Plus tard, il y a cette maison de location vraiment très particulière...
Puis, il y a une autre maison, - tiens ! encore une maison, décidément -, au fond d'une île oubliée de tout, avec un jardin accroché aux branches dénudées et battues par les vents et une femme qui peint des tableaux là-bas derrière la fenêtre où une lampe bouge. Cette nouvelle a donné le titre du recueil.
Les personnages qui traversent ces histoires ont sans doute quelque chose en commun qui les relie, mais leur relation entre eux est souvent complexe. Une façon de trébucher sur leurs pas tout en se rattrapant au dernier moment comme pour donner le change. Ils sont perdus, mais dans leurs coeurs fatigués s'allume une petite flamme qui tremble, l'idée de s'agripper et de tenter une dernière fois de se relever, ou bien tout simplement de chuter, qu'importe d'ailleurs, mais dans les deux cas, si possible avec grâce.
Souvent le personnage principal de chaque nouvelle est un homme brisé, égaré dans un temps inconnu, étranger à lui-même, il est cependant élégant, de cette élégance du condamné qui fume sa dernière cigarette en regardant le bourreau droit dans les yeux. La classe, quoi ! Les femmes sont magnifiques, forcément énigmatiques et donc envoûtantes. Elles se retrouvent étrangement dans la trajectoire de ces hommes perdus et leur offrent une manière superbe de quitter ce monde absurde en regrettant un peu. Ces femmes sont donc des passeuses en quelque sorte.
Tout au long de ces textes ciselés, nous sentons comme un parfum nostalgique, une France d'ailleurs, désuète, presque surannée, mais cela donne aussi un charme infini à l'atmosphère de ces nouvelles.
Parfois, nous avons l'impression de marcher dans un rêve éveillé. Ici, l'imaginaire est fait pour déconcerter le lecteur. Il n'y a pas forcément toujours de chute aux histoires que ce recueil héberge, cela renforce encore plus l'atmosphère pesante, nous renvoyant à la question lancinante : que peut-il bien se passer après ? Á sa manière, l'auteur nous dépeint ici l'incertitude et la fragilité de nos existences précaires.
Dans les nouvelles de ce recueil, nous oscillons sans arrêt entre réel et fantastique, un peu comme si nos gestes hésitaient. Vous savez, comme lorsqu'enfant, nous marchions sur l'arête d'un mur étroit les bras déployés, cherchant l'équilibre, nos jambes tremblant un peu à chaque pas qui avance.
Je viens de refermer ce livre il y a quelques heures et je ne sais pas pourquoi je pense à cette femme qui peint des toiles là-bas dans sa maison juchée sur une île isolée de tout, battue par les vents ; je voudrais croire qu'elle m'attend.
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