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Critique de Arthemyce


Des avis que j'ai pu lire au hasard du net (et notamment sur Babelio), la collection Repères de la maison d'édition La Découverte semblait assez sérieuse. Je me suis donc laissé tenter par ce petit opus de 115 pages.

L'objectif de ce livre, présenté dans l'introduction, est de fournir un regard global sur les paradis fiscaux. Ces « places » financières sont malheureusement méconnues alors qu'elles jouent un rôle prépondérant dans l'Economie. Cette méconnaissance a pour source plusieurs facteurs abordés dans l'ouvrage, que l'on peut faire remonter en premier lieu au fait que les paradis fiscaux sont tout simplement peu analysés.

Le premier chapitre contextualise le sujet au coeur de la mondialisation et sert à poser les définitions, notamment celle de la BRI (Banque des Règlements Internationaux), de l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique) et du GAFI (Groupe d'Action FInanciere), « institution en charge de la lutte internationale contre le blanchiment d'argent mafieux et terroriste ». Les principaux critères que l'on retient pour décrire un paradis fiscal sont d'abord : un faible taux d'imposition, un manque de transparence vis-à-vis des informations bancaires, et la facilité d'y créer des entreprises. Les auteurs présentent en parallèle quelques données dont notamment une liste des paradis fiscaux classés par intérêt/risque.
Pour aller un peu plus loin, dix critères sont détaillés, ce qui permet de faire le tour des différentes « possibilités » mises à la disposition des clients dans ces endroits.
Le phénomène, d'ampleur mondiale, est ensuite abordé par le biais des banques, notamment françaises, et de leur placements financiers dans les paradis fiscaux. Ainsi, en 2014, la BNP et le Crédit Mutuel par exemple, avaient respectivement placé 35% et 44% de leurs bénéfices loin des regards du fisc. La moyenne pour l'ensemble des banques françaises est d'1/3 du total déclaré. Un petit encart aborde en particulier les sources d'informations existantes.
Qu'il s'agisse d'investissement étranger ou d'argent sale, celui-ci n'a plus de frontières, encore moins depuis l'expansion massive d'internet. « Piliers de la mondialisation contemporaine, des circuits financiers illicites et des aventuriers de l'Internet, les paradis fiscaux sont aujourd'hui au coeur du fonctionnement de l'Économie mondiale. »

Pour y voir un peu plus clair dans la création d'un tel réseau et d'une telle diversité de « solutions », le second chapitre traite de l'Histoire des paradis fiscaux.
La légende selon laquelle les Suisses ont fait du secret bancaire une règle d'or pour protéger les biens des Juifs pendant la guerre tombe vite devant les faits : cette question du secret bancaire étant bien plus ancienne chez les Helvétiques, datant au moins de la fin XIXème siècle. On trouve d'ailleurs de plus anciennes traces de dissimulations d'argent à l'époque des Romains ainsi que chez les Grecs.
Si on retrace volontiers L Histoire des paradis fiscaux à partir du XIXème, c'est avant tout car il s'agit de la période d'installation des Etats-Nations occidentaux, qui ont fort à gagner en établissant des lois intérieures (et extérieures) favorisant les élites d'alors. Les auteurs abordent ensuite l'émergence de « l'offshore » en passant par les US courant 1920 et la Suisse courant 1930. On passe aussi par morceaux sur « Les juges britanniques », « Les banquiers suisses », ou encore « Les pressions politiques de la France » dans une fresque historique nous exposant l'évolution du système financier mondial en train de se mettre en place. L'épopée continue autour de la création du marché des Eurodollars propulsés notamment par la City londonienne.
Les crises post « Trente Glorieuses » entérinent finalement le recours aux différents avantages des paradis fiscaux au gré des évolutions politiques et techniques.

Pour rentrer un peu dans le concret, le troisième chapitre répond à la question : « Des paradis fiscaux, pour quoi faire ? ».
Même si, arrivé à ce point dans le livre, on a sûrement sa petite idée, les auteurs prennent le parti de récapituler les différents « outils » mis à dispositions de ceux dont les moyens le leur permettent. Ces outils assument « trois grandes fonctions : changer le lieu de résidence de l'individu ou de l'entreprise concernée, changer l'origine géographique de ses revenus, créer une toile complexe de dissimulation ». de la longue liste d'outils dressée par l'OCDE, les auteurs en présentent quatre :
- l'International Business Corporation (IBC)
- La Fondation
- le Trust
- L'Anstalt
Sont ensuite présentés les différents « usagers » desdits outils. Les « Riches », tout d'abord, notamment Delon, Aznavour sans oublier bien sûr Johnny Halliday : partis en Suisse pour fuire un impôt jugé excessif... En dehors des artistes, on retrouve évidemment les grands sportifs, les « grands patrons » et même certains créateurs de logiciels ou patrons de PME, se payant leur salaire par l'intermédiaire d'une société offshore. Les méthodes et possibilités sont variées.
Le cas des multinationales est également richement décrit, y sont évoquées notamment Google et Apple, jamais très loin de l'Irlande, qui utilisent intelligemment les « prix de transferts » (sorte d'achat/vente intra-groupe). Plusieurs cas sont traités succinctement sans toutefois manquer de détails.
Enfin ce sont les banquiers, assureurs et fonds spéculatifs qui sont étudiés avant d'enchaîner sur les « professionnels du droit et du chiffre » (avocats/fiscalistes), les « criminels », pour finalement traiter de l'usage des paradis fiscaux par les « grands pays », le tout autour de nombreux exemples.

Le quatrième et dernier chapitre aborde, sur l'équivalant du tiers du livre, « Les politiques de lutte contre les paradis fiscaux ».
Ce chapitre extrêmement dense démarre sur « Les politiques publiques sans conviction » de la SDN entre 1945-1998 puis sur la courte période des « listes noires » entre 1998-2000. L'échec tient notamment dans ce que les listes mises en place étaient bâties sur des critères bien trop vagues, peu contraignants et n'ont jamais réussi qu'à pointer du doigt quelques rares pays sans inquiéter aucun des autres paradis fiscaux mondiaux.
Aborder la question de la lutte par « Les petits pas européens » montre que si l'Europe a tenté quelques attaques envers quelques principes, notamment contre le secret bancaire, elle est loin d'avoir réussi à harmoniser les politiques fiscales des pays qui la constituent et surtout, n'a jamais fondamentalement inquiété les pays membres les plus « compétitifs ».
Cependant, « La crise des supprimes change la donne » et permet d'analyser les actions lancées notamment par le G20 a l'encontre du secret bancaire sans toutefois parvenir à régler le problème - et tout en laissant bon nombre d'autres failles dans le système financier.
Pour finir, les auteurs décrivent « Un système qui reste très complexe » à l'heure actuelle, en perpétuelle évolution, et font le lien entre « Paradis fiscaux et instabilité financière » tout en pointant « le rôle crucial de l'hégémonie américaine ».
Les combats engagés contre la délinquance en col blanc sont nombreux, variés et s'appuient à différentes échelles sur « La pression de la société civile » notamment en fournissant information, documentation et force médiatique comme on le voit de plus en plus régulièrement (Affaire Cahuzac par exemple, organisation comme ATTAC...).

La conclusion dresse un cours état des lieux qui permet une vue d'ensemble sur le chemin qu'il reste à parcourir pour venir à bout d'un système financier structurellement soutenu par les paradis fiscaux et favorisant de fait la progression des inégalités. Les difficultés sont nombreuses : politiques en ce qui concerne un réel effort pour remettre de l'ordre dans le système légal tandis que des lobbys massifs et des intérêts particuliers forment un solide rempart aux travaux des organisations (gouvernementales ou non) ; économiques lorsque l'on considère la profonde implication des outils issus des paradis fiscaux dans les échanges mondiaux.
« Bref, on est loin d'en avoir fini avec les paradis fiscaux ! »

Christian CHAVAGNEUX et Ronen PALAN signent un livre vraiment très bien construit, détaillé et sourcé sur les paradis fiscaux, domaine par définition opaque et de surcroît fort méconnu, notamment du grand public, en dépit de ses profondes et graves conséquences. L'ouvrage est très dense pour sa faible épaisseur, la présentation de tableaux, graphiques et les références abondantes fournissent un luxe d'informations à qui souhaite approfondir le sujet.
S'il s'agit d'une bonne première approche pour aborder les paradis fiscaux, je ne conseillerai toutefois pas ce livre à un néophyte en Économie/Finance. Même s'il n'y a rien de fondamentalement compliqué, une connaissance préalable d'un certain lexique et de certaines notions peut s'avérer utile.
Par moment la livre peut sembler dater par ses exemples, la 1ère édition ayant plus de 10 ans, mais les mises à jour et compléments de cette 4ème édition datant de 2016 corrigent quelques peu cet léger écueil.

Pour les curieux, je joins ce petit rapport d'à peine 10 p. sur la perte de revenus des impôts de Google et Facebook dans l'UE. Les chiffres parlent d'eux-mêmes :
https://static.financieel-management.nl/documents/16690/EU-Tax-Revenue-Loss-from-Google-and-Facebook.pdf
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