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Critique de CDemassieux


Dans le présent Atlas des utopies, s'il est question de Thomas More, l'Atlantide de Platon, l'Eldorado, etc., cela ressemble surtout à une accumulation d'articles bien-pensants, semblant tout droit sortis de la rédaction du quotidien Libération, ou de l'hebdomadaire L'Obs. Quitte à sombrer parfois dans la mièvrerie : voir l'article consacré au Wakanda, société fictive africaine issue de l'imaginaire Marvel, « sans oppression raciste ni coloniale », est-il écrit. le racisme serait-il l'apanage des Blancs, chrétiens de préférence ?!
Que de moralisme, d'exhortations au vivre-ensemble, de communautarisme – notamment LGBT. En un mot, cet atlas ne fait pas souvent rêver. Il fait même, à l'occasion, sursauter lorsqu'il persévère dans l'erreur historique : « À Kiev, les partisans de la Révolution orange [dont certains néonazis décomplexés – note personnelle !] ont investi la place de l'Indépendance jusqu'à faire tomber le gouvernement ukrainien de Viktor Ianoukovytch en 2004. Plus récemment, les manifestants des Printemps arabes n'ont pas dérogé à cette règle. » Pour info, Ianoukovytch a été destitué en 2014, c'est-à-dire après les Printemps arabe…
Pour ce qui est de la Constitution de 1793, initiée par le Club des Jacobins, il eût été bon de rappeler que ces mêmes Jacobins ordonneraient bientôt le massacre d'hommes, de femmes et d'enfants dans les régions de l'Ouest, soulevées contre la Révolution – la fameuse Vendée militaire. Quitte à pointer, comme souvent dans cet atlas, les crimes des uns, autant le faire pour les autres, non ?
Le sommet reste cette étrange uchronie : « Et si les Incas avaient débarqué en Europe ? » Ces mêmes Incas capables de sacrifier des enfants – au préalable drogués – pour calmer leurs dieux ? Mais lisons plutôt ceci : « Car ne l'oublions pas : si l'on gomme la colonisation, on efface aussi l'industrialisation de l'esclavage en Afrique et en Amérique, le commerce triangulaire et l'hégémonie occidentale. » Dites, comme ça en passant, vous avez entendu parler de l'esclavage dans l'Antiquité, voire en islam, ce dernier perdurant notamment au Qatar où plusieurs ouvriers étrangers – employés dans des conditions inhumaines – sont morts sur les chantiers de la Coupe du Monde de Football de 2022 ? Cela dit sans nier le moins du monde le caractère atroce de l'esclavage des Noirs africains.
Gare aussi à la naïveté consistant à célébrer « le pays le plus pacifique du monde », à savoir l'Islande. Il n'aura échappé à personne que cet État insulaire est fort peu peuplé, avec une unité culturelle importante, et qu'il n'a, par exemple, pas de voisins rêvant de l'exterminer comme c'est le cas pour d'autres pays du monde : Corée du Sud, Israël, etc. Gare encore à l'idéalisation de certaines figures comme Che Guevara, lequel s'est livré à des crimes injustifiés, dont l'assassinat d'un fermier cubain devant sa femme et ses enfants, et qui avait le seul tort de ne pas adhérer à la révolution cubaine. Preuve, parmi d'autres, que cet atlas est idéologiquement très orienté. Au fait, dans l'article consacré à Edward Snowden, Barack Obama a droit à son prénom, lui, mais pas (Vladimir) Poutine ; un oubli ?
Question portraits, je préfère de loin lorsqu'il est question de Jane Goodall et son inlassable combat pour la reconnaissance des chimpanzés en tant qu'êtres vivants sensibles, de Léonard de Vinci ou Rosa Parks, qui se battait, quant à elle, contre le racisme ordinaire américain de l'époque.
Maintenant, je serais d'une grande malhonnêteté en prétendant qu'il n'y a rien de bon dans ces pages. En effet, l'utopie m'étreint lorsqu'il est question du familistère de Guise, imaginé par l'industriel Jean-Baptiste Godin ; de New Harmony, une ville américaine « fondée sur les idéaux des Lumières » – projet malheureusement avorté par l'individualisme forcené de l'espèce humaine – ; du Pavillon des Rêves, palais Moghol reconstitué en Normandie, etc.
Idem pour les initiatives visant à repenser la vie, c'est-à-dire autrement qu'en courant après une consommation effrénée, depuis Arcosanti, dans l'Arizona, jusqu'aux Géonefs, en passant par la formidable aventure Wikipédia, ce « temple mondial du savoir ».
Je salue aussi la qualité des images, dont certaines sont une invitation au voyage – un renne sous une aurore boréale –, voire au bonheur quand il s'agit de ces enfants souriants du Bhoutan pratiquant précisément ce bonheur avec ferveur.
Ne pas oublier Guédelon, formidable projet de construction d'un château du XIIIe siècle dans les règles de l'art de l'époque. Et quelle prouesse que de faire voler une montgolfière dans une grotte aux dimensions gigantesques, tout comme celle de Sola Impulse, ce géant des airs volant grâce à l'énergie solaire.
Puis il y a l'évocation de l'avenir, comme « Habiter l'arbre », article illustré entre autres d'un magnifique et onirique dessin de Luc Schuiten – frère du génial François – proposant cette optimiste définition : « L'utopie, c'est un possible qui n'a pas été expérimenté. »
L'utopie s'exporte aussi sur les océans, la Cité des Mériens, conçue par l'architecte Jacques Rougerie, en est un exemple édifiant. Quant aux bâtiments verts imaginés pour faire respirer les mégapoles, nous voici revenus au temps des jardins suspendus de Babylone…
Parler d'utopie sans évoquer les voyages dans l'espace et la possible colonisation de planètes habitables eût été une hérésie. En effet, l'espace est un terrain de jeu infini pour les amateurs du genre. Mais comme il est rappelé ici, le nerf de la guerre étant l'argent, ces rêves-là sont encore hors de portée, étant donné le prix exorbitant de la conquête spatiale.
Dans cette projection sur les futures avancées technologiques, il y a le transhumanisme, un arbre qui cache la forêt de possibles abominations. Ou quand l'utopie se mue en dystopie. Car la science et la technologie, quand elles se prennent pour Dieu, peuvent s'avérer dangereuses, elles l'ont déjà prouvé. Et pour ce qui est de la machine censée palier la solitude affective des humains, le pire, là aussi, est possible.
Globalement, je ne saurais dissimuler ma déception car je m'attendais à un livre racontant l'utopie de manière plus romanesque et non à un manifeste politique qui oriente de facto l'idée même d'utopie. Toutefois, il s'y trouve d'excellents articles, fort bien illustrés, le tout dans un objet-livre très beau, il faut le reconnaître…

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