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Critique de Thelx


Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas lu un recueil de poésie, un recueil de poésie entier. Quelque chose s'était brisé entre la poésie et moi. Ou plutôt, entre les poètes et moi. Trop d'amours déçues avec beaucoup d'entre eux – avec Baudelaire, surtout –, déçues par leur faute, après de grands élans enthousiastes et naïfs. Trop de promiscuité imposée par les programmes scolaires et universitaires, qui m'ont fait lire tout de Villon, trop d'Apollinaire, trop de Ronsard, trop de Verlaine, Rimbaud et Mallarmé, trop de l'un ou de l'autre poète, sans jamais vouloir savoir si je le voulais ou non, si cela me plaisait ou non, si j'en tirais personnellement quelque chose ou non, si cela me blessait ou non ; ou plutôt, qui exigeaient unilatéralement que ce soit ce que je voulais, que cela forcément me plaise, que j'en tire de voir le monde à travers leurs yeux et sans critique qui viendrait de moi-même, et surtout, surtout, que je me taise et que je nie que cela me blesse d'être niée. Trop de gifles assenées par leurs mots, à eux, trop de soufflets assenés par ceux qui se réclament la fine fleur des hommes et qui au détour d'un vers, exigent, dénigrent, se moquent, menacent, exercent un chantage à l'éternité, ridiculisent, anéantissent, renversent les rôles et attribuent à la destinataire – à la lectrice dont le ressenti n'intéresse pas le critique, qui la rabaisse tout autant – leur propre cruauté. Et il fallait leur tresser des couronnes et leur composer des odes et des dissertations plus dithyrambiques les unes que les autres.

Je me suis lassée de tout cela. Les poètes sont peut-être plus fins que la moyenne des hommes, mais ils n'en sont pas nécessairement plus humains. Quant à divins, c'est avoir une bien piètre vision de la divinité que de la leur attribuer dans ces conditions tristes et vaseuses. J'ai arrêté de courber l'échine, de me forcer à les lire, à tout avaler malgré le mauvais goût et l'amertume. J'ai continué à picorer de-ci de-là un poème errant, à l'occasion, mais avec défiance et circonspection, en me donnant l'autorisation de battre en retraite dès que je sentais dans une tournure leur bouche se tordre du dédain et de l'injure, au nom d'une prétendue esthétique supérieure, traditionnelle ou provocatrice (puisque tous les prétextes, même les plus contradictoires, peuvent être invoqués successivement ou simultanément quand il s'agit de justifier le droit de nous fouler aux pieds dans les règles ou hors des règles de l'art). Avec ma relation aux poètes, ma relation à la poésie s'est refroidie et distendue, devenant épisodique et guère plus que vaguement cordiale.

Est-ce un hasard que ce soit une poétesse qui me réconcilie aujourd'hui avec la poésie ? Je ne le crois pas ; il y a là une forme d'évidence. Car peu à peu, grâce à ces mots, mon esprit s'est apaisé et a pu déposer le lourd bouclier nécessaire à ma protection.
C'est une amie, ma très chère Constance, qui a travaillé pour que voie le jour la nouvelle édition de Gallimard des Rythmes d'Andrée Chedid et que je remercie encore, qui m'a généreusement et chaleureusement offert ce recueil pour me souhaiter, en ce début d'année 2018, un merveilleux tour de soleil. Après quelques poèmes lus avec la curiosité toute simple qui ne m'a jamais quittée, je me suis laissée prendre au tempo de la poétesse. Je l'ai lu en sept fois, ce recueil, en sept jours, chaque jour successif d'une pleine semaine, respectant les sept parties, me laissant emporter par chacune des sept vagues et déposer en douceur après chaque creux, avant de me laisser reprendre le lendemain par la nouvelle onde.

Ce sont les poèmes cosmologiques qui m'ont le plus transportée. Ceux qui m'ont fait voir l'univers avec le plus de distance, mais sans s'en dissocier, et en me faisant sentir cette force de liaison formidable entre étoiles et planètes. Ceux qui m'ont remplie de paix, d'une paix qui n'est pas faite d'illusions, qui ne se fait pas dans le déni de la tristesse et du sentiment d'absurdité, mais faite d'une lucidité chaude, d'une beauté ronde et dont les distances ne sont pas néant. Ceux qui m'ont permise, pour quelques instants, de laisser mon coeur blessé scintiller parmi les astres.


LES ASTRES

Chétives sont nos voix
Parmi le chant des sphères
Vains sont nos cris
Précaires nos fables
Périssables nos corps
Liés au persistant univers

Face au monde sans confins
À la magie des astres
Que peuvent nos mots
En leur membrane singulière ?
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