Le royaume assassiné

J'ai commis une erreur. Tout a commencé par un prince, comme la plupart des histoires. Une fois que j'ai senti le battement de son coeur sous mes doigts, je n'étais plus en mesure de l'oublier. C'est pourquoi j'ai guetté, sous la surface, qu'il réapparaisse. Mais cela a mis des jours avant que je ne l'aperçoive de nouveau, et il ne s'était plus approché de l'eau sans une armée à ses côtés.

Essayer de l'envoûter par une chanson depuis le quai semblait risqué, avec à la clé, toutes les chances que la garde royale ou des passants viennent à la rescousse du jeune chasseur. Mais maintenant, avec son équipage, la situation avait changé...

Tu ne pourrais pas… essayer de ne pas être… un loup-garou ?

Le plancher lisse entra enfin en contact avec mes genoux, puis mes paumes, ma joue, enfin. J’en appelai à la délivrance de l’inconscience. Malheureusement, je ne m’évanouis pas. Les vagues de souffrance qui, jusqu’à alors, s’étaient contentées de m’effleurer se soulevèrent en rugissant avant de s’abattre sur moi et de m’engloutir. Je sombrai.

Je ne suis pas une voiture qu’on répare. Je n’irai jamais bien

J’ai décidé, puisque je suis voué aux Enfers, de me damner avec application.

En dépit de ce que dit ma mère, je suis bel et bien le genre de monstre qu’elle a toujours désiré que je sois.

Je perds tout de vue : ma mission, mon royaume, le monde entier. Tout a été transporté ailleurs, à un autre moment. Pour l’instant, il n’y a que nous, ici. Moi, mon bateau, et cette fille avec l’océan dans les yeux.

Il est bien différent des autres, débarrassé de toute innocence, malfaisant. Ce n’est pas un prince inexpérimenté et anxieux, il est rodé à la guerre et à la sauvagerie. Son cœur devrait être magnifique à contempler dans ma main. Je me lèche les lèvres une fois de plus, et j’ouvre la bouche pour laisser résonner mon chant …

C’est ainsi que ça se déroule en mer. Une vie brutale et implacable, remplie d’une cruauté vaine et infinie qui n’est jamais récompensée.

–Du poison ? Tu te balades avec ça en prévision de ton mariage ?
–Ce n’est pas mortel.
Pour un tueur, il semble assez blessé par ce que je viens de suggérer. Il fait une pause, il me regarde, souriant à moitié.
–Et non, ce n’est pas pour ma femme. Sauf si c’était toi.
–Si je devais t’épouser, je boirais cette fiole par moi-même.