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Critique de Presence


Ce tome est le quatrième dans une série qui en compte 19, et qui forme une histoire complète ; il vaut mieux avoir commencé par le premier tome. Il est publié dans le sens japonais de lecture (de droite à gauche), en noir & blanc. Il a été réalisé par le collectif Clamp : Nanase Ōkawa, Mokona, Tsubaki Nekoi, et Satsuki Igarashi. Initialement ces 19 tomes ont fait l'objet d'une prépublication de 2003 à 2011 au Japon, pour une parution de 2004 à 2011 en France.

Ce tome commence par le rituel des chocolats de la saint Valentin (tradition japonaise) et l'estimation du retour sur investissement pour le White Day (ce que les garçons offriront en retour, peut-être pas au centuple, mais en tous cas plus conséquent). le premier cas surnaturel concerne une jeune demoiselle qui s'empare du gâteau au chocolat que vient de manger Dômeki en passant sa main à travers son corps. En accomplissant ce geste, elle vient de lui dérober son âme. Watanuki s'envole sur un oiseau géant (aigle ou pigeon) cornaqué par Mokona pour la suivre dans les airs. Il se heurte à un groupe de 5 petits gugusses armés d'éventail, sur des planches de surf.

Le deuxième cas surnaturel : Watanuki et Dômeki sympathisent avec des soeurs jumelles. L'une d'elle semble manquer d'allant et ses propos trahissent une forme d'abattement et de résignation.

Pour clore ce tome, il y a un chapitre qui revient sur la jeunesse de Watanuki (un fantôme lui offre du sel et un os pour atténuer l'incidence néfaste de ses visions). Enfin, Watanuki a la vision d'un avant bras à plusieurs reprises dans les rues qu'il traverse.

Décidément, les Clamp continuent de marier avec adresse les moments dramatiques et l'humour, au milieu d'intrigues s'étalant du terre-à-terre, au merveilleux. Les auteures dressent le portrait de Yûko en creux. Elle ne déclame pas ses valeurs en les exposant artificiellement. le lecteur ne peut s'en faire une idée qu'au fil de ses actions, en observant son comportement.

Voilà une dame à l'apparence jeune (peut-être une trentaine d'années) mais en réalité très âgée, avec un goût certains pour les belles toilettes un peu bohèmes et un peu rétros. Elle tient une boutique où elle propose d'aider des individus en difficulté ou en détresse, confrontés soit à une manifestation surnaturelle, soit plus simplement à un mal être psychologique, plus ou moins intense. Elle vit dans une jolie maison et communique avec d'autres dimensions qui relèvent de la Fantasy (les mondes parallèles de la princesse Sakura et de Shaolan).

Yûko a pris Watanuki sous sa protection et le manipule avec tendresse. Les Clamp utilisent les corvées innombrables et inventives que Yûko attribue à Watanuki, comme un ressort comique. Elles dépeignent Yûko comme un individu abusant de sa position dominante sur Watanuki. Ce comportement constitue également la stratégie par laquelle Yûko essaye d'amener Watanuki à comprendre comment il pourra vivre avec ces visions d'esprits surnaturels, comment elle guide sur le chemin du changement.

D'un côté, les caprices de Yûko fournissent la matière à l'énervement de Watanuki pour autant de moments comiques. de l'autre côté, ils mettent en valeur les qualités de Watanuki, et l'affection réelle que Yûko lui porte. Cette relation de confiance (sous des dehors d'agacement) entre Watanuki et Yûko colore également celles avec les autres personnages. Il est possible de s'agacer que Himawari ne soit pas développée ; par contre le lecteur observe que les Clamp construisent petit à petit une relation complexe entre Watanuki et Dômeki. Il est vraisemblable qu'à terme, Dômeki bénéficiera également d'un développement par petites touches de sa personnalité.

C'est bien ces relations qui se tissent graduellement, et ces sentiments profonds qui ne font qu'affleurer, qui donnent de la crédibilité aux moments dramatiques. le lecteur ressent que les personnages éprouvent une empathie et une sollicitude réelles vis-à-vis de ceux qu'ils rencontrent. Ainsi les réactions de Watanuki et de Yûko cautionnent la détresse affective de la jumelle. du coup il ne s'agit pas d'un personnage pleurnichard, mais d'une jeune femme oscillant en déprime et dépression, ayant besoin d'aide. Plus étonnant encore, la sensibilité qui sous-tend les relations des principaux personnages donne également du crédit au comportement de la zashiki-warachi (merci les notes en bas de page de ce tome) qui a volé l'âme de Dômeki.

Ce tome constitue un bon exemple de l'intelligence narrative des Clamp, qui réussissent à enchaîner sans hiatus, un récit fantastique, et un récit réaliste. Elles conservent le même mode de représentation éthéré pour chaque séquence. À nouveau, ce sont les personnages principaux qui font le lien, et le thème du surnaturel qui permet au récit d'osciller entre réalisme avec un soupçon de surnaturel, et surnaturel avec un soupçon de réalisme, sans briser l'unité du récit. Cette alternance fait même mieux ressortir l'élément minoritaire dans chaque type de récit. La jeune fille venant prendre le gâteau est magnifique de naturel dans son manteau bordé de fourrure (page 22). La jumelle enchevêtrée dans des fils (page 139) constitue une incroyable métaphore visuelle, tout aussi magnifique.

D'un point de vue graphique, les Clamp continuent d'alterner des cases d'une beauté à couper le souffle, par leur délicatesse et leur sophistication, avec des cases reposant sur un code graphique ou un autre, spécifique au manga, et relevant plus d'un icône symbolique et schématique que d'une belle illustration.

Ce tome comprend de nombreux aphorismes philosophiques. Par comparaison avec le tome précédent, les histoires de celui-ci développent plus le sens de ces maximes, leur conférant plus de profondeur, et donc de crédibilité. Suivent quelques exemples.

- Si ça ne dérange personne, où est le problème de ne pas faire les choses comme les autres ?
- Les êtres vivants sont prisonniers de bien des choses : des lois de la nature, du temps qui passe, des limites de leurs sens, de leur égo et de leurs sentiments.
- La seule entrave qui est le propre de l'homme, ce sont les mots.
- Les hommes s'enferment dans les mots, sans réaliser qu'ils se laissent enchaîner.
- Avec les mots, on peut aussi enfermer quelqu'un d'autre.

En fonction de son parcours personnel, le lecteur appréciera ou non la conviction des Clamp concernant le pouvoir de la pensée positive.

Ce tome trouve un meilleur équilibre que les précédents entre ses différentes composantes. Il y a bien sûr le moment de connexion obligatoire avec Sakura et Shaolan, l'évocation d'un manga datant un peu (ici, il s'agit de Cat's eye de Tsukasa Hojo), un humour plus ou moins élaboré (avec une très belle répartie autoréflexive teintée d'autodérision, à la fin du premier cas : c'est du n'importe quoi cette histoire), la dimension philosophique, des personnages en but des difficultés psychologiques, des références à la culture japonaise.
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