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Critique de pompimpon


Un village de montagne, à la frontière, après guerre. On ne sait pas quel village, quelle frontière, les mots de patois inventés trouvent leurs racines dans une langue germanique.
La guerre, à lire les différents évènements, le parcours effarant de Brodeck, ressemble très fort à la Seconde Guerre mondiale, mais ça n'est pas dit non plus.

Un étranger est venu dans ce village. Il a cristalisé toutes les rancoeurs, toutes les haines, tous les rejets, il a fait ressortir les vilains secrets et les remugles puants du village qui n'en manque pas.
Cet étranger est mort.
Quelques hommes du village chargent Brodeck, absent au moment de l'évènement, d'écrire un rapport.

Brodeck va le doubler du récit de sa vie en une succession de moments, confrontations, souvenirs personnels, retours en arrière, dévoilant les liens qui unissent ou étranglent les villageois, les lâchetés, les faiblesses, ce courage qu'on aimerait avoir en pareille situation, mais l'aurait-on vraiment ?

Effacer les certitudes qui sont les nôtres, fermement appuyées sur nos connaissances, nos préjugés…

Philippe Claudel gomme dès les premières pages toute facilité, suspendant à quelques centimètres du sol l'histoire de Brodeck dans ce village encaissé, cerné de forêts profondes ; pas assez pour battre des pieds mais suffisants pour en avoir le vertige. On tend la pointe des orteils, fort, on ne trouve que le vide.

Il peut être n'importe où, ce village, ils sont n'importe qui, ces gens dont parle Brodeck qui ne s'épargne pas dans le récit. Leurs réactions, leurs épidermes épais comme du cuir ou fragiles comme un papier de soie sont universels, ils sont ce qui nous rassemblent et nous font humains, même si c'est pour le pire.

Les mots nous étouffent lentement. C'est un boa enroulant ses anneaux autour de nous dans une parfaite maîtrise des différents parcours qui se rejoignent inexorablement.
Ces êtres réunis par les mêmes petitesses, une médiocrité partagée, des veuleries voisines, l'auteur nous les décrit dans leur jus, à ras de couardise ou d'indifférence.

Etrangement, parce que le pire n'est jamais certain, parce qu'il est impossible de vivre sans une petite lueur d'espérance, ces mêmes mots réveillent dans le même temps le meilleur en nous, parce qu'on le souhaite forcément à Brodeck, qu'on veut voir la tête haute et le souffle libre, portant loin l'étincelle qui le tient vivant.
On le souhaite aussi aux autres villageois, bourreaux et victimes d'eux-mêmes, et à cet étranger qui est venu s'écraser contre le mur de leur haine.

Dans le déroulement du drame, des drames, on se prend à chercher du regard le bleu profond d'un jour qui se lève derrière les montagnes, une aube métallique signalant que non, toute humanité n'est pas abolie.
Toute humanité n'est pas laide et triste.
L'air est coupant mais il est pur.
Il faut juste continuer à chercher.
C'est l'écho que j'entends, la trace qui me reste, une fois le livre refermé. L'écho du nom de Brodeck.
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