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Critique de saltsjo


Il arrive qu'après avoir ingurgité force sucreries la langue demande un peu de fraîcheur, réclame une oasis d'autant plus bienvenue que le désert est aride; une gorgée d'eau fraîche et l'avenir redevient possible, le goût qui semblait perdu se trouve de nouveau à portée des papilles. Il en va de même de notre esprit lorsqu'il se trouve encombré de trop de mièvreries.
Voilà à quoi j'en étais réduit ces jours derniers; je ne sais qui j'avais rencontré, encore moins qui j'avais lu, mais mon esprit baignait dans un nuage cotonneux duquel je cherchais obstinément à m'évader. Et puis, telle une pluie providentielle sur le désert du Kalahari, un ouvrage sur un présentoir de la bibliothèque et un nom : Combescot.

Ouvrir un ouvrage - ici, en l'occurrence, « Les filles du calvaire » prix Goncourt 1991, excusez du peu! - ouvrir un livre, donc, de celui qui se faisait appeler Luc Décygnes lorsqu'il chroniquait au Canard Enchaîné les spectacles lyriques et la danse, c'est emprunter un chemin sans retour, c'est le plongeon du grand huit, le toboggan qui vous envoie mariner dans un bain de jouvence.
Pierre Combescot réussit la gageure de nous offrir une bande dessinée sans dessins mais chaque page devient planche et contient autant de cadres qu'il y a de croquis. le coup de crayon des dessinateurs du célèbre volatile devient chez lui un coup de plume d'autant plus efficace qu'il est ravageur. Des exemples? Mais bien volontiers chère Madame. Tenez, approchez, voici, dans l'Italie mussolinienne, un clown qui prépare son »suicide »:

« Le vieux clown se livra d'abord à une époustouflante improvisation. Il essayait d'enfourcher son trombone comme un cavalier son cheval et à chaque tentative retombait, le nez dans la sciure. le public, bon enfant, riait. Cependant, quand il eut, enfin, enfourché l'instrument et qu'il commença à se pavaner comme un dindon, la ressemblance était si frappante que le doute n'était plus permis. »

N'est-il pas bien croqué et que dire de cette autre, la mystérieuse Madame Maud, Rachel Aboulafia pour l'état civil?:

« Ni jeune, ni vieille, en fait sans âge, Madame Maud, roulée en boule sur son passé pour n'en rien laisser transpirer, s'était dorloté une sorte d'oubli, s'absentant d'une partie d'elle-même. (…)
Et nous ne sommes encore que dans les premières pages du livre. On ne sait alors rien de la veuve Roubichou, de la signorina Giuseppina Scannabelli, « de son état modiste et fille-mère », des Poignardeurs, « petits gars juteux qui possédaient le sens inné du beau geste, dût-il être criminel » et de tant d'autres qui constituent le monde interlope des « Filles du calvaire ».

Fort bien, me direz-vous mais l'histoire, le déroulé du roman? Hélas, chère Madame, les mots suffisent-ils à dire la beauté et la richesse d'une église baroque et sicilienne de surcroît? Des phrases suffisent-elles pour dire l'obsolescence des chapeaux de la british queen? Aurez-vous assez d'un livre entier pour rendre le maquillage d'une pute napolitaine? Eh oui, avant de lire Combescot, il convient de s'entraîner à appeler un chat un chat, vous voilà prévenue. Disons alors que tel Breughel qui se serait échappé du seizième pour s'en venir squatter au vingtième siècle, Pierre Combescot dresse une peinture picaresque d'un monde interlope gravitant autour d'une rousse plantureuse trônant derrière la caisse du bistrot des Trapézistes.
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