Vaut pour les 2 parties du diptyque aux couvertures très réussies. Et pour ne rien gâcher, le papier glacé est de qualité !
Hiver 1519, le roi de France rejoint l'abbaye cistercienne pour confier au secret et à l'oubli un tableau de maître. Bien que son nom ne soit jamais cité dans cette introduction, on comprend très vite que les 2 tomes sont un immense flashback dans laquelle
François Ier raconte l'histoire secrète de Léonard de Vinci à l'abbé Antoine (le récit s'engouffrant dans la brèche ouverte par les circonstances mouvementée mais méconnues qui conduisirent le génie à quitter l'Italie pour la France).
Hiver 1494, le prévôt de Florence découvre un cadavre mutilé auquel le tueur à voler le visage en le découpant au scalpel… un témoin aviné parle d'un monstre sorti du canal pour fondre sur sa proie…
On tease sur les mystères qui entoure tous les personnages et les nombreux regards torves qu'ils se jettent alors même qu'on masque l'identité de certains d'entre eux pendant pas mal de pages (et jusqu'à la fin pour l'une de ces figures malgré tout trop facilement reconnaissable), mais finalement l'identité du tueur est vite éventée. Peu de suspens et peu de tension au final, et peu de rebondissements puisqu'on sait rapidement le « qui ? » et le « comment ? ». Reste qu'on suit les péripéties pour enfin connaître le « pourquoi ? »
« pourquoi ? » qui ne m'a ni vraiment surpris ni vraiment convaincu : Léonard de Vinci se contente de châtier les responsables du viol, de la mutilation et la défiguration de son amour de jeunesse. Et j'ai eu peine à retrouver le machiavélique jeu du chat et la souris évoqué par l'enquêteur florentin ! Homme poisson, homme chauve-souris, homme crabe ou fille de l'air… les inventions destinées à éloigner les soupçons de lui ne font finalement que les attirer encore davantage sur lui.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour accomplir sa vengeance d'ailleurs, pourquoi châtier les coupables par là où ils ont péchés si ces derniers ne peuvent endurer la douleur et le déshonneur qu'ils ont infligés, et pourquoi voler le visage de ses victimes, ce qui ne fait qu'attirer encore davantage l'attention des autorités sur sa mission vengeresse Pour avoir tout le temps de donner à son Judas les traits de tous ces Judas ? C'est un peu capillotracté, à moins que cela n'appartiennent pleinement au côté Hannibal Lecter que les auteurs aurait voulu coller au personnage historique de Léonard de Vinci.
Pour obtenir un vrai thriller historique qui déchire sa race, j'aurais bien vu Léonard à la fois enquêteur et suspect soupçonnant lui-même Salaï ou Mona, devant échapper à son Javert avant de rallier la cause de ses protégés…
Les phylactères sont assez bien remplis, surtout au début, et je me suis surpris, ô honte, à oublier les dessins pour me concentrer sur le texte… Mais les dialogues quoique bien troussés sont un peu redondants : les sentiments amoureux du Vinci, les sentiments filiaux de Salaï, la suspicion du prévôt de Florence, l'admiration du roi de France…
On insiste sur la dualité de l'assassin et de son âme tourmentée, mais le personnage affiche du début à la fin une parfaite sérénité… C'est un peu gênant pour celui qui est dépeint comme un ange de vengeance : on est plus près d'Hannibal Lecter que d'Edmond Dantès, et je ne sais pas vraiment si c'est voulu ou pas…
Les dessins du regretté
Gilles Chaillet sont toujours de qualité. Les paysages et les décors regorgent de détail et la minutie apportée aux monuments, vêtements, mobiliers et accessoires force le respect (avec une mention spéciale pour la mise en scène des inventions du Vinci !). C'est un vrai plaisir que de voyager avec lui dans cette Italie de la Renaissance à Milan, Venise, Rome et Florence. Après concernant les traits des personnages, c'est les goûts et les couleurs… c'est old school et le dessinateur n'a pas toujours su conserver une homogénéisation au niveau du charadesign (pour cette série courte, on repère bien au début un temps de recherche et d'adaptation, avec les visages et les expressions du Vinci et Salai par exemple).
Sinon le portier de l'abbaye cistercienne a de faux airs de Michael Londsale et l'abbé de vrai airs de Sean Connery : visiblement le dessinateur est toujours sous le charme de l'adaptation ciné du "Nom de la Rose"… ^^
J'avoue aussi que j'aurais sans doute bien davantage apprécié cette relecture de la vie de Léonard de Vinci si entretemps je ne m'étais pas pris au jeu "Da Vinci's Demons", la très cool et très fun série télé de
David S. Goyer qui en puisant dans un esprit résolument comics nous a concocté un fort réjouissant pulp clockpunk !