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Critique de Presence


Le récit débute à New York et il se déroule en 1962. Un homme marche sur le pont George Washington. Il est grand, fort et menaçant. Ses vêtements sont usés jusqu'à la corde et sa paire de chaussures est trouée. À l'aide d'une escroquerie rapide et efficace, il se renfloue en quelques et heures et retrouve une allure décente. Puis il commence à entamer une suite d'actions qui lui permettra de se venger.

L'homme commence par poser quelques questions à son ex-femme. Puis il interroge la personne chargée de lui transmettre de l'argent tous les mois pour qu'elle puisse payer son loyer. Puis il secoue un peu les indigènes locaux pour mettre la main sur celui qu'il cherche.

Le personnage principal s'appelle Parker. Il est déterminé : il assouvira sa vengeance quel que soit le prix à payer et quel que soit le nombre d'individus à faire passer de vie à trépas. Au départ cet individu dangereux est le personnage principal d'une série de romans écrits par Donald Westlake (1933-2008), sous le pseudonyme de Richard Stark. Monsieur Westlake n'est pas le premier venu et ses romans policiers constituent une lecture à haute teneur en divertissement avec des pépites de réflexion à l'intérieur. Je suis en particulier un grand admirateur de son cambrioleur râleur et loser John Dortmunder (par exemple "Au pire qu'est-ce qu'on risque ?"). Mais ce n'est pas parce qu'un comics est l'adaptation d'un bon auteur que le résultat est de qualité. Ici il s'agit d'un projet entièrement réalisé par Darwyn Cooke, un vrai auteur de comics (par exemple La Nouvelle Frontière).

Ce qui est tout bonnement incroyable, c'est que dès les premières pages j'ai reconnu la patte de Westlake dans cette séquence pourtant muette. Cooke a réussi à capturer l'esprit du maître, tout en réalisant une vraie bande dessinée, et pas simplement une collection d'images illustrant le texte original. Cette première séquence est phénoménale : elle pose le personnage et sa détermination inébranlable, elle expose comment il réussit à s'approprier un compte en banque sans violence ni effusion de sang, et elle montre la nature des relations que Parker entretient avec autrui. La suite se dévore d'une traite.

Certes Parker n'est pas le premier venu en terme de stature physique. Pour autant le défi qu'il a relevé exige beaucoup plus que de la simple supériorité physique. Comme dans tous les romans de Westlake, le lecteur est cueilli par l'ingéniosité du scénario, le manque d'empathie de Parker et son intelligence. C'est un vrai plaisir de découvrir au fur et à mesure la manière dont il a préparé ses coups et la façon dont il se joue de ses adversaires pourtant redoutables. Parker évolue dans le monde des criminels. L'art et le savoir faire de Westlake est de réussir à nous faire croire à ce monde parallèle, très proche du notre dans lequel certains individus ont décidé de profiter des failles du système pour des raisons qui leur sont propres. Parker n'est pas fait pour le travail de bureau ou le travail manuel. Il organise des casses ou des appropriations de bien d'autrui quand l'argent vient à lui manquer.

Le reste du temps il profite tranquillement de la vie. Malheureusement un casse a mal tourné et il a décidé de faire payer les gens qui l'ont fait foirer. Les escrocs qu'il rencontre sont des individus comme vous et moi qui évoluent dans une société avec ses règles très pragmatiques qui n'a que peu de différences avec la bonne société, tout juste quelques éruptions chroniques de violence et une économie parallèle en marge de la loi. Ce décalage minime permet au lecteur de rentrer dans ce monde sans s'astreindre à une crédulité démesurée.

Cette bande dessinée doit également énormément au talent de Darwyn Cooke. Il a su transposer le roman de Westlake avec élégance pour un résultat parfait. le ton de Westlake est conservé, sans pour autant devoir lire des pavés de textes interminables. Les avancées de l'intrigue reposent beaucoup sur des scènes de dialogues. Pour autant ces dernières sont magnifiquement mises en scène pour ne pas lasser le lecteur.

Cooke a accompli un vrai travail de metteur en scène et de directeur de la photographie. Il a choisi un dessin très typé années 1950, avec des formes simplifiées, des visages esquissés et légèrement cartoons. Il s'est restreint à une seule couleur bleu pétrole foncé. Chaque élément de décor restitue parfaitement l'époque à laquelle se déroule l'histoire. Chaque personnage apparaît à la fois unique et à la fois comme un cousin proche des acteurs de cinéma de cette époque. L'immersion du lecteur est totale et complète. Les scènes d'action impressionnent par leur sécheresse et leur efficacité. Et le livre se clôt sur une autre séquence presque muette d'anthologie dans laquelle Parker prouve qu'il est d'une autre trempe que les gugusses employés par la pègre. Westlake et Cooke prennent toutefois bien garde à restreindre leur récit à une échelle individuelle pour que cet anti-héros ne se transforme pas en Frank Castle à la morale douteuse.

Cette adaptation est une réussite exceptionnelle qui ne trahit pas l'esprit originel de l'auteur et qui appartient au genre noir, sans avoir besoin d'abuser des artifices de ce type de récit. Je cours dévorer et déguster "L'Organisation".
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