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Critique de colimasson


La psychiatrie à peine née, voici qu'apparaît son versant opposé : l'anti-psychiatrie. Ne nous méprenons pas sur l'objet des griefs portés par ses chefs de file, David Cooper et Ronald Laing en tête : l'anti-psychiatrie ne vise pas à l'abolition de la psychiatrie mais se considère comme un de ses courants. Elle conteste la psychiatrie « classique » considérée comme une force d'oppression institutionnelle élaborée par et pour des gens « normaux » (David Cooper nous montrera au passage que la normalité, si elle se situe à l'opposé de la folie, se situe aussi à l'opposé de la santé).


Dans son essai court mais convaincant, David Cooper commence en revenant sur les fondements de la discipline : sa terminologie. Suffit-il de désigner une chose par un terme pour que le sujet soit clos ? Les patients principalement ciblés par la psychiatrie, ceux qu'on nomme « schizophrènes », souffrent-ils tous, réellement, d'un seul et même trouble ? le doute apparaît dès l'instant où l'on essaie de donner une définition de cette pathologie, que David Cooper juge avoir été inventée de toutes pièces par les membres de l'institution psychiatrique classique pour ne pas reconnaître la violence que la société inflige à ses objets.


David Cooper dénonce le subterfuge de l'invention de la schizophrénie en redéfinissant cette dernière non plus en termes de pathologie mais en termes sociaux et culturels. La schizophrénie serait la réaction de survie exprimée par un individu ayant grandi dans un univers aliénant et incohérent, à la base d'une violence d'autant plus sournoise et diffuse qu'elle ne se verbalise pas, qu'elle provient des membres de la famille proche –qui eux-mêmes n'en sont pas conscients, qui eux-mêmes sont également victimes d'une situation qui leur échappe- et qu'elle existe depuis toujours dans le cadre du développement de la personne que l'on étiquettera plus tard sous le terme de « schizophrène ». David Coooper emploie souvent ce terme : « étiqueter », pour désigner le nouveau processus d'aliénation qui frappe la personne malade lors de son arrivée dans l'institution psychiatrique. C'est ici que le bât blesse : alors que la psychiatrie se présente comme une institution de prise en charge des souffrances mentales d'un individu, elle ne fait finalement que perpétrer sur lui une aliénation et une violence initialement subies dans le milieu familial ou social proche. La psychiatrie serait donc un instrument de la « normalité », utilisé pour légitimer la souffrance qui fut à la cause de la formation du trouble psychique. Ce paradoxe expliquerait les causes des échecs nombreux connus dans le milieu de la psychiatrie : absence de résorption des troubles, récidives, réhospitalisations…


Après avoir rappelé ces multiples dysfonctionnements de l'institution psychiatrique classique, David Cooper relate ses expériences de psychiatrie alternative. On connaîtra peut-être le récit de Mary Barnes et son Voyage à travers la folie. le récit de Barnes et l'essai de David Cooper se rejoignent puisque tous deux ont participé à l'expérience du Pavillon 21, un établissement anti-psychiatrique expérimental fondé à Londres dans les années 60. David Cooper et ses collègues tentent d'y abolir la position d'autorité du médecin vis-à-vis du patient, les traitements répressifs et même l'obligation de mener des activités "constructrices" de réadaptation sociale. David Cooper est lucide et n'affirme pas que cette expérience aura connu un franc succès. Les schizophrènes auront certes pu vivre plus librement, c'est-à-dire selon les modalités que leur imposent leur "délire", mais la perpétuation de ce délire constitue-t-elle réellement une libération, ou ne fait-elle que témoigner sans cesse de la marque de la violence fondamentale ? David Cooper pense que la guérison viendra de l'épuisement du délire, qui ne serait qu'intériorisation d'une parole ou d'actes qui n'ont jamais pu librement se déployer dans le monde. Si l'hypothèse ne semble pas exacte, les moyens déployés pour en permettre la réalisation remettent toutefois en question des présupposés importants de l'approche psychiatrique, dans son rapport à l'autorité et aux traitements. L'anti-psychiatrie se révèle ainsi assez proche de la psychanalyse.


« Ce que j'ai essayé de faire dans ce livre, c'est de regarder dans son contexte humain réel l'individu qu'on a étiqueté comme « schizophrène », de rechercher comment cette étiquette lui a été donnée, par qui elle a été posée, et ce que cela signifie, à la fois pour celui qui l'a posée et pour celui qui l'a reçue. »

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