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Critique de Deslivresetlesmots


L'amie grâce à laquelle j'ai découvert The Expanse m'a encouragé d'un « Welcome to the book of all feels » quand je lui ai annoncé que j'entamais ma lecture de ce tome et c'est bien la meilleure manière de décrire Les Jeux de Némésis. Après avoir eu le point de vue de Holden les quatre tomes précédents, on a (enfin) accès aux points de vue des autres membres de l'équipage, Naomi, Amos et Alex. Ce serait déjà glorieux en soit mais bien sûr, s'ielles sont narrateurs et narratrice c'est pour présenter des évènements et une facette de l'aventure que Holden ne vit pas avec elleux. C'est la première fois depuis le début de l'aventure que les quatre membres du Rocinante se retrouvent chacun·e de leur côté, pour se confronter et clôturer des éléments de leur passé.

Tous les tomes de The Expanse abordent en trame de fond des questions politiques et sociales, que je trouve à chaque fois intéressantes mais soit c'est particulièrement appuyé dans celui-ci, soit ça m'a plus marqué que d'habitude. Peut-être parce que je l'ai lu à ce moment précis ou parce que les sujets résonnent plus en moi, je ne saurai pas l'expliquer. Toujours est-il, avec l'ouverture des portails et la (relative) réussite de la colonie d'Illus, bien sûr de nombreuses personnes embarquent à bord de vaisseaux pour rejoindre l'un de ces nouveaux mondes habitables. Dans Les Feux de Cibola, les auteurs nous montraient les dangers, curiosités et contraintes que cela pouvait supposer de coloniser une planète où les humains ne font pas partie de l'écosystème. Avec Les Jeux de Némésis, on s'intéresse à ce que cette ouverture présuppose pour les mondes existants : la Terre, Mars et les Ceinturien·nes notamment.

Pour la Terre, où la moitié de la population vit sous revenu basique sans pouvoir travailler ou se former, c'est l'opportunité de trouver une occupation, un sens, ailleurs. Pour Mars, cette ouverture remet en question la société même de cette planète : la population travaillait ensemble au bien commun des prochaines générations de Martien·nes qui pourraient avoir une atmosphère habitable et respirable un jour grâce au dur labeur de la population actuelle. Mais est-ce pertinent pour elleux de continuer ce rêve alors qu'il est possible de trouver un monde avec une atmosphère grâce aux portails, après un voyage de plusieurs mois ou quelques années ?

Mais surtout, pour les Ceinturien·nes, c'est leur existence même qui est remise en cause. Tandis qu'il était nécessaire de voyager d'une planète à une autre, d'un astéroïde ou d'une lune à l'autre afin de miner, transporter des ressources à bord de vaisseaux, les Ceinturien·nes qui ont toujours vécu dans l'espace ou sur des astéroïdes avaient toute leur place dans cette économie. Mais si les ressources peuvent à présent être forées sur n'importe quelle planète, et qu'il existe suffisamment de mondes pour que l'espèce humaine entière vive à l'air libre, plutôt qu'entassée sur des astéroïdes… que deviendraient alors les Ceinturien·nes, qui n'ont jamais connu la gravité d'une planète ? Certes, il existe des traitements médicaux et des entraînements physiques qui peuvent permettre aux Ceinturien·nes d'habituer leur corps à la gravité. Mais cela n'est possible que pour deux-tiers des Ceinturien·nes, et seulement s'ielles avaient à leur disposition toutes les ressources médicales et techniques nécessaires, ce qui est loin d'être le cas. Que deviendraient alors des autres ?

Dans un univers où tout un tas de maladie peut être guéri avec une injection, où des membres peuvent être « repoussés » ou remplacés par des prothèses de manière courante, où un implant permet de stopper un cancer, il y a jusqu'ici peu de place donné au handicap dans The Expanse. Mais j'ai le sentiment que c'est tout l'intérêt et la particularité des Ceinturien·nes, qui sont considéré·es ou perçu·es comme étant en situation de handicap parce qu'ielles ne peuvent pas poser pied sur la terre ferme d'une planète. Attention, je suis une personne valide donc ma lecture est à prendre avec de grosses pincées de sel et j'aimerais beaucoup en parler avec des personnes concernées pour avoir leur avis.

Fred Johnson présente les choses ainsi : l'espace fait partie intégrante de la culture des Ceinturien·nes et outre les contraintes physiologiques posées par le fait de vivre sur une planète avec de la gravité, ielles n'ont aucune envie d'y aller et doivent pouvoir faire le choix de continuer à vivre, échanger et participer à l'économie dans l'espace. Je ne peux m'empêcher de penser aux personnes sourdes ou malentendantes qui considèrent que le langage des signes, entre autres choses, fait partie intégrante de leur culture et qu'elles ne désirent pas forcément avoir la possibilité d'entendre, peu importe les possibilités médicales ou technologiques.

À ce sujet, j'ai aussi particulièrement apprécié la mention des entreprises pharmaceutiques qui stoppent, sans penser aux conséquences, la production des traitements médicaux à prix abordable permettant aux Ceinturien·nes de supporter la gravité, pour mettre des ressources ailleurs (notamment dans l'étude des portails). Je pense que toutes les personnes ayant un traitement à long terme ou à vie ont vécu ce genre de chose : un traitement en rupture, sans trop d'explication, qui nous laisse perdu·es et un peu paniqué·es, surtout quand on a cherché longtemps avant de tomber sur le « bon » traitement. Donc j'apprécie particulièrement que les auteurs fassent cette mention, mais encore plus qu'ils reprochent aux entreprises pharmaceutiques de ne pas avoir ouvert les brevets sur les traitements en question, ce qui est un réel problème dans notre société actuelle. Problème qui pourrait être réglé par une économie des savoirs ouverts et par les Communs. Bref, c'est bien la raison pour laquelle j'accroche tellement à The Expanse : dans un univers pourtant éloigné du nôtre, les auteurs arrivent à dénoncer, de façon subtile mais assumée, des travers de notre société.

Si la trame globale, géopolitique à l'échelle de l'espèce humaine est intéressante, les personnages en eux-mêmes le sont également, comme toujours. Chaque personnage a ses caractéristiques, ses désirs propres. Mais peu importe le point de vue qu'on lit, le message tout au long du livre est l'importance de la famille qu'on se créé. Les liens du sang n'ont finalement aucune raison d'être plus forts que les relations qu'on choisit d'entretenir et de créer avec d'autres personnes. Nul doute qu'Alex, Naomi, Amos et Holden se considéraient déjà comme une famille. Mais ce tome donne le sentiment, alors qu'ielles sont séparé·es, d'être le moment où tou·te·s réalisent à quel point leur petite famille à bord du Rocinante est importante.

Les Jeux de Némésis nous montre un Alex Kamal nostalgique du passé, mais qui doit bien se rendre compte qu'il ne peut y retourner, et même que ce n'est pas réellement ce qu'il veut. C'était intéressant de voir l'évolution que le personnage a pu connaître, et surtout de découvrir Mars à travers son point de vue : quelqu'un qui y a vécu des années auparavant mais qui redécouvre la planète dans cette période toute particulière.

Le point de vue d'Amos est une fois encore la preuve de la compétence des auteurs qui parviennent à réellement incarner les différents personnages dans leur façon de voir ce qui se passe, de ressentir leurs expériences et d'en parler. Il me semble que peu de doute persistait mais la neuro-atypie d'Amos est évidente, sans jamais être nommée. Il a des objectifs très clairs, ne s'inquiète que des personnes qui comptent pour lui (on en revient à cette idée de famille choisie), et a besoin de personnes autour de lui sur lesquelles il peut prendre un exemple, que ce soit Holden pour avoir une boussole morale qui lui indique la limite entre le bien ou le mal, ou Naomi pour des gestes (supposément) anodins tels que « quoi faire face à une personne en détresse ». C'était un réel plaisir de lire chacun de ses chapitres.

Je vais terminer par Naomi, mais avant tout c'est le moment du trigger warning / déclencheur potentiel qui peut être aussi considéré comme un spoiler donc ne lisez pas les deux paragraphes qui suivent et les citations si vous ne souhaitez pas découvrir un (petit) élément de l'intrigue, qu'on découvre assez tôt dans le roman. Je vais aussi aborder le sujet des relations toxiques et abusives, de l'emprise qu'une personne peut avoir sur une autre dans ce cadre et de manipulation, donc pareil, sautez ces deux paragraphes et deux citations si ce n'est pas pour vous.

Naomi se retrouve elle aussi confrontée à son passé en la personne de Marco, un Ceinturien·nes avec qui elle a partagé sa vie pendant plusieurs années, jusqu'à ce que ce dernier la trahisse d'une manière assez abjecte. Elle avait alors réussi à s'extraire de son emprise, avec beaucoup de difficulté et non sans danger pour sa personne. L'intrigue l'amène à devoir se confronter à nouveau à lui et les passages du point de vue de Naomi à ce sujet sont glaçants. On ressent toute sa terreur, toute son angoisse qui ressurgit après des années de conditionnement à être considérée comme un objet, qui n'a pas son mot à dire. Marco ne fait pas partie des hommes violents physiquement mais de ceux qui parviennent à manipuler leur entourage avec aisance, à rallier moult personnes à sa cause, à être perçu comme tout à fait charmeur tandis que dans la sphère privée, il ne considérait pas Naomi comme une personne à part entière, à respecter, à écouter, et à ne pas utiliser simplement pour arriver à ses fins.

L'angoisse, le sentiment de profonde solitude, d'emprisonnement que ressent Naomi est tellement bien retranscrit que je me sentais un peu claustrophobe et honnêtement pas très bien à la lecture de ses chapitres. Mais ça montre parfaitement les ressorts employés par les hommes comme Marco, et la difficulté de s'extraire de cette emprise : Naomi parvient tout à fait à analyser son ressenti, elle se rend compte de tout, mais cela est bien loin de suffire pour s'échapper.

Encore un splendide tome de cette série, qui m'a retourné l'estomac, fait sautiller de joie toute seule, qui m'a fait voyager et qui m'a bien sûr donné envie de continuer l'aventure. Sauf que ça risque de ne pas être pour tout de suite, je n'ai pas encore la suite dans mes étagères et visiblement les éditions du sixième tome en anglais sont épuisées ou difficiles à trouver en France… Je n'abandonne pas pour autant et prend mon mal en patience en attendant !
Lien : https://deslivresetlesmots.w..
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