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Critique de Ingannmic


On ne sait pas trop si on est chez les Hobbit ou chez les Amish, dans un ailleurs inventé ou un passé éternellement figé. L'écriture nous orienterait plutôt vers cette dernière option, avec son classicisme un peu désuet, et cette façon de polir le langage pour en éliminer toute grossièreté et toute violence. le cadre aussi, qui évoque un univers rural et quasi moyenâgeux. D'un autre côté, certains détails prônent en faveur d'un univers imaginaire, et participent à entretenir une atmosphère d'étrangeté, où se mêlent à la fois l'indéfini et le familier. On est hors du temps ou de toute géographie connue, et paradoxalement en un lieu que chacun peut reconnaître. Il restera "le village", celui d'une communauté fruste et craintive qui y vit depuis toujours en quasi-autarcie et s'échine à arracher à une terre inflexible et impatiente la pitance tout juste suffisante à sa survie sous l'autorité de Maître Kent, veuf de la propriétaire de ce domaine qu'il régente avec une autorité lasse et plutôt bienveillante. On y vit au rythme des saisons et surtout de la moisson, acmé d'une année d'inquiétudes et de labeur qui donne l'occasion aux faux de parler à l'unisson, et autorise exceptionnellement la grivoiserie et la gaieté.
Mais cette fois, la fête est ternie par une série d'événements qui vont finir par embraser le village. C'est d'ailleurs un incendie qui met le feu aux poudres, si je peux me permettre ce mauvais jeu de mots… un incendie qui détruit les écuries de Maître Kent, et décime son élevage de colombes. de probants indices désignent comme coupables de jeunes gens de la communauté qui n'ont sans doute pas mesuré les conséquences des bêtises qu'ils ont perpétrées sous l'influence de champignons magiques. Sauf que l'incident concorde avec l'arrivée d'étrangers qui se sont installés à la lisière du village. Les nouveaux venus, c'est bien pratique, font office de bouc-émissaire. Ils sont trois : deux hommes condamnés au pilori, et une femme qui lors de ses fugaces apparitions provoque chez les villageois une coupable attirance.

A cela s'ajoute la venue prochaine au village d'un mystérieux M. Jordan, cousin de la défunte épouse Kent qui se revendique à raison comme héritier légitime de ses terres, et qui projette de convertir les membres de la communauté en éleveurs de moutons.

En venant percuter son immobilisme séculaire, ces événements plongent le village dans le tourbillon d'une violence visant à prémunir de la nouveauté et du changement. Cela se traduit d'abord par une tension insidieuse, de surcroit relatée par un narrateur qui, dans un inconscient réflexe d'autodéfense, n'exprime son intuition du pire à venir qu'avec parcimonie. Walter Thirsk est lui-même un étranger à ce village où il s'est pourtant installé des années auparavant, ayant suivi Maître Kent dont il était le serviteur. Tombé amoureux de cet endroit, il en a épousé une native, désormais défunte. Depuis qu'il est veuf, il travaille sans amour, ayant perdu le plaisir que lui procurait l'illusoire pouvoir de transformer le paysage. Son absence d'implication dans la confrontation avec les étrangers accusés d'avoir incendié les écuries a creusé la distance jusque-là latente qui le sépare des autres membres de la communauté. Ces derniers évitent dorénavant de le regarder dans les yeux et manifestent à son encontre une soudaine et sourde hostilité.

"Moisson" est un conte cruel au rythme lent, dont la narration est fortement marquée par l'omniprésence d'une nature domptée par le labeur paysan. le lecteur suit le héros des terres asséchées par la moisson aux chemins abîmés par les roues et les sabots qu'embaument les odeurs de foin coupé, tout en étant conscient d'être plongé au coeur d'un microcosme entraîné dans l'engrenage qui mènera à sa perte.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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