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Critique de Lucilou


Les âges obscurs de l'Empire franc, les ors du Vatican et la décadence de Rome, un amour impossible, l'amour des vieux manuscrits, une atmosphère de secrets et de complots, une héroïne forte, une controverse historique (a-t-elle vécu? n'est-elle qu'une légende?) si ancienne qu'elle laisse matière à broderie: tels sont les ingrédient réunis par Donne Cross dans "La Papesse Jeanne" auxquels elle a l'élégance d'ajouter la passion de son sujet et le génie du rythme et de l'intrigue.
Le mélange aboutit à un très bon cocktail, à un roman sans longueurs ni temps morts et dans lequel on se laisse emporter aussi facilement qu'une jeune bergère par un raid viking (mais avec des conséquences moins tragiques, néanmoins...).
La petite Jeanne naît à Mayence d'un père chanoine et d'une mère païenne, elle grandit dans la misère d'un univers brut, âpre auprès d'un père violent, d'une mère qui croit encore en ses dieux du Nord et de ses deux frères. le chanoine destine l'aîné -Matthieu- à la prêtrise et c'est grâce à lui que la petite fille apprendra ses premières lettres et découvrira sa prodigieuse intelligence et son amour de l'érudition. Un deuil, un précepteur grec et des années plus tard, elle et son frère Jean quittent leurs parents pour l'école de Dorsdadt où Jeanne parvient tant bien que mal à se faire accepter. C'est qu'elle est brillante la petite et qu'elle n'est pas la langue dans sa poche... Elle loge alors chez une riche famille de la noblesse franque et y fait une rencontre qui marquera sa vie entière Gérold. Cependant et comme elle dût quitter sa famille, elle finira par quitter Dorsdadt également à la faveur d'une événement tragique. Jeanne se rend compte que sa condition de femme ne lui ouvrira pas d'autres horizons que celui -bien sombre et limité- du mariage et de la maternité et qu'elle est incompatible avec son amour des livres, des débats, des sciences. Elle se coupe les cheveux et se rend au monastère de Fulda où elle devient frère Jean. La suite, l'historiographie l'a écrite bien avant Donna Cross: ce sera Rome, l'entourage de deux papes successifs et enfin l'ultime distinction: Jeanne deviendra pape... avant de connaître une fin infamante et tragique....
Pendant des années, les historiens et les autres se sont écharpés afin de savoir si notre papesse relevait de la légende où si elle avait vraiment vécu. Les tenants de cette dernière théorie s'accrochent au "blanc" courant de 855 à 858 dans les textes retraçant l'histoire de la papauté, entre les pontificats de Léon IV et Benoît III et la perte de certains documents; les autres mettent en avant des anachronismes, ce qu'il faut bien appeler l'énormité d'une telle histoire et le fait que la légende s'est (heureux hasard) déployée juste au moment où l'Eglise était le plus critiquée... Il semblerait qu'aujourd'hui, un certain consensus ait été trouvé à la faveur de récentes recherches et surtout que la sagesse,la raison et le bon sens font enfin loi: Jeanne relève bien de la fiction.... Quelque part, cela m'attriste un peu... J'aurais tellement qu'une telle histoire fut vraie, même en partie, et surtout qu'une telle femme ait vécue et qu'elle fut pape. Non mais pape, quoi! Une femme pape!
Quoiqu'il en soit, légende ou fait historique "La Papesse Jeanne" est et demeure un excellent roman pour diverses raisons.
Pour son intrigue bien sûr, complètement folle et passionnante.
Pour Jeanne, tellement forte et tellement fragile aussi.
Pour sa restitution minutieuse, documentée d'une époque méconnue et d'autant plus passionnantes, qu'il s'agisse de l'empire franc ou de Rome et des chausses-trappes du Vatican. C'est sombre, c'est violent, mais c'est bon!
Pour sa galerie de personnages secondaires: Matthieu, Jean, la mère, Gérold bien entendu mais aussi Arn et Frère Benjamin.
Pour son propos féministe aussi. On pourrait craindre qu'il ne soit trop mis en avant ou surfait, mais il est en réalité amené avec beaucoup de finesse, ce qui n'était pas forcement gagné.
Pour les questions qu'il pose enfin. Au delà de la réalité ou non du personnage de Jeanne, combien de femmes ont tenté à cette époque (et même bien avant, et même bien après) de fuir ou de dépasser leur condition? Combien ont dû se cacher? Se travestir peut-être? Pour savoir, pour être libre. Pour vivre... Autrement qu'en mourant en couches avant 18 ans...? Qui étaient-elles?

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