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Critique de Jujube_965


Commençons tout de suite par dire que ce livre est un faux polar et un vrai récit d'aventure déjanté. Il n'y aura pas d'énigme à résoudre, pas de coupable dévoilé à la fin, mais en revanche une histoire « punchy » et roborative, reposant toute entière sur son narrateur et protagoniste principal, Vincent - « Vince » - Arnaud. Les autres témoins de son parcours n'ont pas voix au chapitre, pour autant qu'ils soient encore en état de parler après eu le malheur de croiser les zigzags du héros.

Vince n'est pas exactement un premier rôle à l'eau de rose : il est arrogant, fier comme un mâle alpha, brutal, et sans regret sur son passé d'ancien béret rouge. Tout à fait le genre de type à s'inviter en treillis, crâne rasé, à une réunion d'intellectuels et d'artistes efféminés, histoire de mettre un peu d'ambiance. Néanmoins, il reste éminemment sympathique par sa capacité à ne pas se prendre au sérieux, ce qui le distingue des autres casseurs d'intellectuels.

Le plus cocasse est qu'en dépit du danger qui le serre à longueur de récit, on sent que sa grande préoccupation est finalement moins de sortir la tête du pétrin que d'arriver, si on lui en laisse le temps, à faire publier le livre qu'il vient d'écrire. Eh oui, s'engager dans le métier de la guerre peut laisser un arrière-goût déplaisant, au point qu'on ait envie de se racheter – ou à tout le moins de se transfigurer – à travers la création littéraire. Car enfin, que seraient donc les exploits des guerriers légendaires sans les bardes pour les chanter ? Au moment où commence Triades sur Seine, Vince a donc mis le point final à un manuscrit : « Shrapnel », un héroïque récit d'aventure magnifiant son passé et qui, il en est certain, lui ouvrira les portes de la respectabilité et d'une vie un peu plus calme.

Hélas, impossible d'écrire tranquillement dans sa tour d'ivoire. L'auteur autoproclamé va avoir quelques soucis, essentiellement imputables à son fichu caractère : avec les femmes et les éditeurs au premier chef, avec la police et la mafia chinoise accessoirement. Son vrai roman, en fin de compte, n'est pas Shrapnel, le texte qu'il a produit après des mois d'efforts et de solitude monacale dans les sous-sols de son logement ; notre écrivain ne trouve d'authentique inspiration que sous adrénaline, et son grand oeuvre est la confession tapée à l'arrachée dans les dernières heures d'une nuit de cavale, celle que nous sommes supposés avoir dans les mains en lisant Triades sur Seine. Vincent Arnaud écrit à la manière dont il vit, on ne se refait pas.

Et il remplit son contrat : il nous fait tourner les pages. On peut regretter le côté un peu attendu de l'intrigue : des amours et des trahisons classiques, des parrains à la poursuite de leur fric et de leur honneur bafoué, un narrateur essayant de se prouver tant bien que mal qu'il maîtrise la situation... Mais tout ceci n'est qu'un arrière-plan. le plaisir du livre est dans une écriture nerveuse, qui colle particulièrement bien à la psychologie du personnage, à la fois classique – la brute au grand coeur - et drolatique : derrière les coups de poings et de revolvers qu'il est contraint de distribuer, Vince aimerait désespérément être reconnu pour l'art éthéré de la plume, et voir un peu plus qu'une grimace de haine, de douleur ou de concupiscence sur les visages qu'il croise quotidiennement. Qu'on lui dise enfin autre chose que : « Vince, t'as une belle queue », ou « Vince, t'es le roi de la castagne », mais plutôt « Monsieur Arnaud, votre créativité, votre intelligence et votre sensibilité esthétique sont bouleversantes. »

… Bien sûr, c'est précisément en s'acharnant, vaille que vaille, mener à bien cette reconversion, que notre éminent homme de lettres a déchaîné tout le contraire et s'est retrouvé une fois de plus à lutter dos au mur, pour se tirer d'une embrouille sordide et parfois horrifique. Comment ? Tout simplement par inattention. La distraction peut coûter cher, surtout quand elle est générée par l'obsession littéraire. Et aussi, évidemment, parce que le naturel ne s'éloigne jamais bien loin, si sincère que puisse être l'envie de raccrocher les gants.

Mais en dépit de son imprévoyance, Vince obtient gain de cause au-delà de ses espoirs : le livre que nous tenons entre les mains en est la preuve, bien meilleur que les mémoires laborieux qu'il croyait devoir écrire, un roman qu'il a involontairement chorégraphié par sa propre vie, tracé en actes avec l'aide de seconds rôles émérites, avant d'en jeter pêle-mêle l'exact compte-rendu sur ordinateur.

… Exact, vraiment ? de toute façon, il n'y a plus guère de contradicteurs qui s'aventureraient à crier au canular, tout cela reste donc à l'appréciation du lecteur. Probablement Vince écrit-il davantage pour se remettre les idées en place et se justifier à ses propres yeux, que pour impressionner un hypothétique lecteur, qu'il fait semblant de prendre à témoin avec force bravades tout au long de sa confession, mais à la manière dont on défie le vide avec des moulinets menaçants. Cela justifie bien de prendre quelques libertés avec le réel. Et pour la bonne cause : le vrai lecteur, lui, ne s'ennuie pas. Au final, on peut tirer son chapeau à Monsieur Arnaud pour être devenu écrivain par mégarde certes, mais assurément en restant lui-même !
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