Polar ou roman noir ? c'est la première question que l'on peut se poser lorsqu'on lit
le der des ders. Car s'il y a bien enquête, Daenickx se plait surtout à rendre vivant l'immédiat après-guerre : ses stocks de produits américains revendus à prix cassés, ses blessés empilés dans des hôpitaux périphériques, ses gradés trop soucieux de leur honneur, ses anarchistes révoltés etc. L'ensemble est servi par un argot savoureux et des personnages auxquels on veut croire.
Certes, il y a bien une enquête, avec ses méandres, ses impasses, ses doutes, et elle est plutôt bien fichue cette intrigue qui en défrisera plus d'un. Elle commence lorsque le colonel Fantin de Larsaudière fait appel à René Griffon, ancien soldat reconverti dans les enquêtes privées. Ce dernier, souvent narrateur de cette aventure, nous fait le portrait d'un colonel soucieux de préserver son honneur : sa femme le tromperait trop visiblement. Pas très intéressant en apparence, du moins rien d'extraordinaire : rien que du travail habituel. Mais René a un peu d'intuition et de furieux doutes sur cette enquête trop évidente, sur cette épouse trop docile à la filature, sur ce père trop peu soucieux de la tentative de suicide de sa fille. Alors René creuse. Et René trouve.
le colonel n'est peut-être pas ce héros que tout le monde chante, il n'est peut-être qu'un salaud de gradé qui a envoyé à la mort ses hommes pour avoir une petite chance d'être reconnu. Et connu, il l'est : son régiment est le plus gradé de la guerre, post-mortem ! Cela, des témoins peuvent l'affirmer, et les anarchistes aussi, que René espionne d'un peu trop près. Idiot : il se fait repérer. Par ailleurs, la police le soupçonne du double meurtre orchestré par le colonel, auquel René a assisté, et place ce dernier sous surveillance. La fin du roman est amère : René est poursuivi par Fantin de Larsaudière mais aussi par les anarchistes qui veulent récupérer les documents, uniques, accablant le colonel ; ces derniers n'hésitent pas à lancer une grenade sur la voiture de René et de sa compagne. Tout brûle ; les documents aussi. le lendemain, Fantin de Larsaudière est salué lors d'un hommage aux morts de son régiment.
Cette fin, si éloignée des poncifs habituels en matière de polar, fait frissonner. le moins qu'on puisse dire est qu'elle est efficace.
Encore une fois, le roman vaut autant pour cette énigme très bien menée que par la plongée dans le Paris des années 20 : pas de coupes garçonnes ici mais du corned mutton en boite, pas de jazz mais la dernière voiture à la mode et une société encore traumatisée qui ne cesse de clamer « si Jaurès avait été là ! ». Un plaisir double à la lecture de ce livre qui joue sur les rythmes, les encadrés qui cassent la page à la manière des surréalistes (je pense au Paysan de Paris) et les changements de narrateurs qui basculent sans cesse d'une vision omnisciente au point de vue interne. de fait, pas moyen de s'ennuyer !
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