AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Oh la liberté, la belle liberté, quand on va se promener aux champs d'été, en âme seule, dégagée de son corps !"

Ce soupir poétique fait partie de l'héritage légué par Katsushika Hokusai, ce "Vieux Fou de dessin", né en 1760, l'année métal-aîné-dragon de l'ère Hôreki. 89 années remplies de travail acharné, à la recherche permanente de la perfection, même si selon ses propres dires, il n'a réussi son premier dessin honnête d'après nature qu'à 70 ans. Mais c'est Hokusai : toujours dans l'exagération, l'auto-dérision, et peut-être même dans une certaine obsession pour les années qui passent, passent... et il reste encore tant de choses à faire.

L'exposition au Grand Palais est finie depuis longtemps, mais on a toujours l'occasion d'admirer ses dessins, estampes, peintures et croquis dans ce catalogue de la taille d'un honnête grimoire moyenâgeux.
Les oeuvres y sont classées par période et abondamment annotées, ce qui est une autre façon d'aborder cette exposition parisienne de 2014-15. Aux expos, j'ai plutôt une (mauvaise) tendance à me contenter du titre et de la technique, et passer davantage de temps devant les oeuvres que devant les panneaux explicatifs. Dans ce livre le texte accompagne l'image, et lire tous ces détails sur la vie et la démarche de l'artiste permet, pour ainsi dire, de voir le même mont Fuji de cent façons différentes.

En début du livre j'étais interpellée par le dessin d'Henri Rivière dans le style ukiyo-e ("peintures du monde flottant") - la vue sur le Trocadéro autour de 1900. Sans la tour Eiffel en construction en arrière-plan, on pourrait facilement se méprendre sur l'auteur...
Mais ces formes épurées aux contours noirs sont une certaine marque de fabrication de la tendance "japonisante" de la Belle époque. Toulouse-Lautrec, Mucha, Van Gogh, Monet, Crane... sont tous indirectement les disciples de Hokusai, dont la "Grande vague de Kanagawa" était une sorte de tsunami artistique qui a inondé L'Europe au tournant du 19ème siècle.

Et en regardant de près les travaux de Hokusai, on comprend pourquoi. En mélangeant la tradition à la modernité, il n'y a presque rien qu'il n'aurait pas essayé : en passant par monts et par vagues, tous les thèmes se valent et toutes les techniques sur tous les supports sont bonnes à explorer. La perfection ne peut pas être atteinte; dès qu'on aborde un thème, il y a déjà un nouveau qui se pointe, dès qu'on a maîtrisé une technique, on voit déjà un moyen de la changer ou l'améliorer.
Une seule vie n'est pas suffisante pour explorer toutes les propositions de la nature, et malgré le siècle presque entier que cet humble excentrique a réussi à traverser, il meurt avec le regret de ne pas pouvoir devenir un artiste accompli. Sans doute pousserait-il le même soupir s'il avait vécu un millénaire...
Cette quête permanente où une chose découle naturellement de l'autre me fait penser aux artistes polyvalents de la Renaissance, notamment à Léonard. Mais contrairement à Léonard, Hokusai n'a jamais vraiment débordé du cadre pictural, et surtout, il finissait (dans la plupart des cas) ses projets.

D'où ce gros pavé qui regroupe, bien sûr, les fameuses "Cent vues du mont Fuji", mais aussi une belle série "1000 images de la mer", portraits d'acteurs de kabuki, alcôves de femmes, dessins animaliers ou des illustrations pour les poèmes et des saynètes humoristiques. Ne manquent pas non plus ses mangas, une sorte de carnets de croquis pour l'apprentissage du dessin, ni les études du mouvement pour apprendre à manier le pinceau. Sans oublier les dessins calligraphiques dont on ne se lasse pas : deux taches et trois traits deviennent d'un coup un paysage, un héron... ou un dragon.
Et pour finir, une adorable série (jamais achevée) sur les fantômes et les monstres, inspirée par un jeu très en vogue à l'époque d'Edo : "Cent contes de fantômes". Les participants se réunissaient pour tester leur courage en se racontant des histoires terrifiantes des yôkai, sachant qu'au bout de la centième, un événement surnaturel devrait se produire.

Je vais donc clore cette chronique en vous laissant imaginer Hokusai sortant la première épreuve de la centième estampe de cette série de sa presse...
Commenter  J’apprécie          719



Ont apprécié cette critique (64)voir plus




{* *}