AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de sorciere_bouquine


Quelle dissonance entre l'exaltation des associations féministes cette semaine pour célébrer l'IVG dans la constitution et la lecture de l'enquête de Laure Daussy qui démontre qu'à Creil, les femmes n'ont pas accès à l'avortement.
La maternité est fermée, le médecin qui proposait des avortement à domicile (pilule abortive) n'y exerce plus. Les informations données aux jeunes femmes qui appellent le numéro national pour avoir des informations sur l'IVG sont erronées, elles doivent se rendre dans la ville voisine qui n'est pas desservie par les transports en commun.

En fait, l'avortement n'est même pas la question dans ce livre. Les femmes sont loin de revendiquer le droit à l'avortement, elles ne sortent pas dans la rue pour célébrer la récente modification constitutionnelle. Non, les femmes restent chez elles et se font discrètes.
Au moindre soupçon, elles deviennent des putes aux yeux du quartier. Des filles faciles, des salopes. Celles qui font des choses.
Par faire des choses, on entend tenir la main d'un garçon dans la rue, avoir un petit ami, des relations sexuelles. Se faire violer est également reprehendé : elle n'est plus vierge, elle est salie.
Quand une fille est considérée comme une pute (et cela va très vite, à 13 ans et via une vidéos sur snap ou une fausse rumeurs d'une autre copine jalouse), elle devient une proie.
Elle est harcelée, agressée, parfois tuée.

Shaina, 15 ans est morte poignardée puis brûlée vive par son petit ami alors qu'elle était enceinte de lui.
Il est loin le combat pour l'IVG.
Shaina est morte parce que le garçon ne voulait pas assumer l'enfant d'une pute. Les gens de la cité le comprenne, le défende.

Dans cette enquête , Laure Daussy livre avec courage la réalité des femmes en banlieue.
Harcelée, humiliée, contrainte de se cacher et de se trahir entre elles. Elles s'adaptent à la loi du plus fort, quel autre choix ?
Exclues du domaine public (elles ne peuvent pas boire de verre en terrasse), exclue de relations sociales libres, exclues d'un système scolaire qui ne les soutient pas, exclues de la justice qui n'a pas (ou ne mets pas) les moyens pour les protéger …
A l'heure où le mouvement #metoogarcon prend de l'ampleur, les femmes de Creil n'ont jamais entendu parler de #metoo.

Ce livre est édifiant, révoltant et engage toute la société à se mobiliser pour que toutes les femmes aient les mêmes droits, que l'on naisse à Toulouse ou à Creil.
Il engage le mouvement féministe à ne pas avoir peur de s'engager dans ce combat et à se libérer des réticences politiques antiracistes qui poussent à se boucher les oreilles et à fermer les yeux.
Dénoncer les conditions des femmes dans les quartiers ne sert aucun parti politique, ces combats servent les femmes victimes.

Ce livre se lit rapidement et n'échappe pas aux phrasés journalistiques assez communs dans des investigations: on cite par exemple p15 «  peut être aurais-je pu être victime des mêmes violences que Shaina. Nous pourrions toutes être Shaina. » ou p67 « les filles de la génération de Shaina partent de Creil pour d'autres horizons. Shaina ne pourra jamais le faire. »
Cela alourdit le récit mais n'enlève aucunement l'intérêt des propos de l'autrice qui livre un travail nécessaire qui sera, je l'espère, exploité pour améliorer les conditions de vie des femmes dans les quartiers.

Quand à moi, je retourne éduquer mes trois fils pour qu'ils ne portent jamais de tels jugements sur une femme.
C'est peut être le plus grand des combats : éduquer les hommes.

Merci à Babelio et Les échappés pour l'envoi de ce livre.
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}