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Critique de GeorgesSmiley


Le cocktail habituel de Leif Davidsen : une aventure qui fleure bon les services secrets, une histoire familiale compliquée et émouvante ainsi qu'un splendide voyage touristique et culturel. Autant ne pas ménager le suspens, celui-ci est vraiment très réussi. La fille abandonnée est rancunière, bien décidée à se venger, le traître a des choses à dire sinon pour sa défense du moins pour apaiser sa fille et appâter de vieux espions qui reprennent du service pour lui extorquer quelques confidences brûlantes ; le demi-frère est brutal et aigri mais va évoluer, le méchant du FSB est aussi retors qu'intelligent, les oligarques russes s'inquiètent pour leur business et la tension monte graduellement pour une conclusion surprenante.
L'un des grands mérites de ce roman concerne les aspects culturels et géopolitiques qui sont à la hauteur des personnages et de l'intrigue. Dès les premières pages, l'envie d'aller faire une croisière sur la Volga en faisant escale dans les rues de Ples saisit le lecteur, impatient de se glisser dans les pas de ce Danois exilé en Russie.
« Il y avait ces églises à coupoles et ces maisons sur les flancs des collines. Elles étaient si belles dans la lumière dorée du soleil, et représentaient ce qui l'avait séduit en Russie. le vieux débarcadère à moitié submergé par la Volga avait disparu, comme les communistes qui l'avaient construit. le port qui l'avait remplacé s'offrait comme le reste de la ville aux touristes de passage, et en particulier à leur argent. Ils ne restaient pas très longtemps, aussi s'agissait-il de les traire tant qu'on le pouvait. Les petits chalets, avec leurs fenêtres à croisillons, étaient peints en bleu, en vert profond et en marron, et l'été, dans les rues, il flottait un parfum floral qui enivrait les abeilles comme les gens. »
De même, les nombreuses descriptions de la nature tout comme celles qui concernent la cuisine ou l'histoire constituent d'autres belles invitations.
« le thé dans la tasse était presque noir et il s'en échappait toujours un peu de vapeur.
_ Oui, nous sommes bien ici.
_ Qui ne le serait pas à Ples ? On a l'impression d'être projeté dans la Russie d'autrefois. On s'attendrait presque à croiser Anna Karénine au détour d'une rue ou à saluer amicalement Tchékov se rendant dans sa pommeraie. Nous sommes un peuple, John Petrovitch, terriblement nostalgique de l'ancienne Russie, avec ses étés brûlants interminables et son air chargé de parfum de fleurs. Ses potagers luxuriants. Les femmes en robe d'été sous leurs ombrelles claires. le champagne géorgien frais pétillant dans des flûtes et les lèvres séductrices d'une femme sur le bord d'un verre. Sans parler de ces longs et bons hivers avec la neige au-dehors et le crépitement du feu dans le poêle de notre petite isba, pas vrai ? »
L'éclairage porté sur des événements passés (Crimée, Ukraine) que futurs (souhaitons que l'opération Valkyrie si brillamment et clairement décrite ici ne reste qu'une fulgurance littéraire) est très convaincant. Il me semble très proche de la réalité politique et culturelle de la Russie et de l'inquiétude de ses « petits » voisins du Nord ou de l'Ouest.
« L'ours s'est réveillé. L'ours a retrouvé ses griffes. Nos bons amis de la Baltique et de la Pologne sont très inquiets. Que faire face à un ours en colère ? On l'avait pourtant apprivoisé, pas vrai ? »
Quand les césures culturelles sont expliquées par un colonel du FSB, le fossé devient aussi large que limpide :
« _ Tous les Russes cachent un romantique au fond de leur âme immortelle. C'est ce qui fait que ce pays est si spécial. Pourquoi voudrions-nous du style de vie occidental, décadent et athée ? du culte des Occidentaux pour les homosexuels et les autres êtres dépravés. du vide infini de l'Occident. L'Occident essaie de supprimer Dieu, mais sans Dieu nous n'avons plus de guide moral. Grâce à notre président, nous avons trouvé notre voie, celle de la Russie et de la religion orthodoxe. C'est la voie éternelle, qui ne nous a jamais trahis. Si nous la suivons, les sanctions et autres menaces américaines ne peuvent nous toucher. Pas vrai ? »
Et lorsque la vodka a coulé un peu trop fort, c'est un oligarque qui se met à critiquer le régime :
« _ L'époque actuelle me fait penser à celle de Nicolas Ier.
_ Qu'est-ce qu'il avait de particulier ?
_ Je peux te résumer ça en trois mots. Orthodoxie. Autocratie. Nationalisme. Enfin, Russitude.
_ En effet, ça y ressemble. Je le reconnais volontiers.
_ C'était un despote. Son règne a duré trente ans. Il a mis sur pied une police secrète puissante et un immense réseau d'espions. Il a proscrit la littérature et la presse critiques et poussé je ne sais combien des plus éminents intellectuels russes à l'exil.
_ D'aucuns affirment qu'il régnait d'une main de fer, mais qu'il a aussi fait de la Russie une grande nation, crainte et respectée.
_ Peut-être, mais il est mort brisé et affaibli après avoir perdu une énième campagne militaire. Et où ? En Crimée. Avec sa folie des grandeurs, Nicolas Ier a cru qu'il pourrait s'attaquer impunément à l'Empire ottoman, à la France et à la Grande-Bretagne. Aux grandes puissances de l'époque. A l'Occident tout entier. Ca ne te rappelle rien ?
_ C'est une conversation dangereuse, Oleg. Très dangereuse. »
En conclusion, une superbe couverture, une histoire passionnante et très bien racontée, une documentation habilement distillée sans être didactique, des personnages épais et complexes vous feront passer un excellent moment et refermer ce roman à regret.
Mes plus vifs remerciements à Babelio et aux éditions Gaïa pour m'avoir offert ce plaisir de découvrir ce nouvel opus de Leif Davidsen.
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