AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Pois0n


Lorsque l'on commence la lecture de L'enfant sans mémoire, on se demande assez rapidement pourquoi l'ouvrage a été publié dans la collection « Best-sellers féminins » d'Harlequin et non directement chez Harper Collins (la maison-mère), tant le truc n'a rien à voir avec ce qui paraît habituellement non seulement dans ladite collection, mais aussi tout simplement chez l'éditeur. Ah, et l'on s'aperçoit en cours de route que le résumé mentionne des évènements qui n'ont pas lieu avant... le dernier tiers du livre. Mais bon, quand on essaie de vendre une histoire qui n'est pas une romance, dans le catalogue d'un éditeur spécialisé dans la romance, à des lecteurs de romance, on n'est plus à ça près. Et puis, en un sens, qu'importe l'étiquette, ce qui compte, c'est avant tout l'histoire. Ceci dit, mieux vaut savoir à l'avance à quoi s'en tenir, car il n'est rien de plus frustrant que de se retrouver avec des poires alors qu'on pensait avoir acheté des fraises. Surtout quand on n'est pas spécialement fan de poires.

Vous l'aurez compris, ici, les poires, c'est la littérature « générale », celle dite « blanche ». L'étiquette sous laquelle on regroupe un peu tout et n'importe quoi, tant que ce n'est pas de la littérature « de genre », comprenez la romance, les romans noirs ou la SFFF. Autant dire que le jour où mon conjoint m'a demandé de lui expliquer ce qu'était la blanche, ça a été compliqué. (Résumer par « les trucs verbeux et chiants qui se veulent réalistes sous un vernis sérieux » était certes tentant, mais aurait été injustement réducteur, quoique proche de la vérité.) Bref, la blanche et moi, c'est compliqué et on ne peut pas dire que nos rencontres se soient particulièrement bien passées jusque-là.

Avec L'enfant sans mémoire, on peut donc considérer que les choses auraient pu être bien pires, même si le pseudo-mystère qui plane sur le drame ayant bouleversé le quotidien de Charlie, plongé sa mère dans la dépression puis au coeur d'un feuilleton judiciaire se laisse deviner bien trop facilement et ce, dès le tout début. En fait, si le résumé ne spoilait pas allègrement le contenu du livre, on se demanderait pendant un bon moment où l'auteur veut en venir, à travers la voix du jeune Charlie. Car les premiers chapitres sont plus que décousus, entre aventures d'enfance, présentation du cadre et des personnages, et récit fragmenté du drame, puisque le jeune garçon ne se souvient de rien. Mais une fois les bases de l'histoire posées, l'impression de lenteur ne se dissipe malheureusement pas. Les deux premiers tiers du livre, on suit le quotidien de Charlie et Lacy, en quasi huis-clos dans la maison. Lacy, c'est le vieil ami de la famille, le seul qui reste à la mère de Charlie et qui veuille bien veiller sur celui-ci. Mais voilà : Lacy Coe est un homme noir, et son installation, même temporaire, dans un quartier de blancs n'est pas au goût du voisinage dans cette Amérique profonde des années 60. Surtout en Virginie. le racisme fait donc partie intégrante de l'histoire, même si Lacy préfère ne pas en parler ; c'est à demi-mot que les violences qu'il a subies sont abordées. Il faut dire que ça reste cohérent avec la narration, faite du point de vue d'un enfant de onze ans et à qui les adultes ne disent pas tout.

S'il fallait retenir un point fort dans L'enfant sans mémoire, ce serait indubitablement cette narration, qui parvient non seulement à retranscrire parfaitement le mode de pensée d'un jeune de cet âge – loin d'être bête et conscient de bien plus que son entourage ne l'imagine, mais pas prêt non plus à entendre ce qu'il se pense capable d'encaisser –, mais aussi à bien l'exploiter. Car, première personne oblige, le lecteur ne dispose, lui non plus, pas de toutes les clés de compréhension, celles que les adultes gardent ouvertement pour eux. Les réponses sont là, sous les yeux de Charlie et les nôtres, mais, frustration extrême de l'enfance, impossible d'y accéder. Évidemment, contrairement à Charlie, on se doute assez vite du fin mot de l'histoire – et dans son ensemble. Reste que cette plume, très efficace, donne envie d'accompagner Charlie dans sa quête de vérité.

Et il faut avouer que c'est bien la seule chose qui pousse à continuer. Car entre le rythme pachydermique de l'histoire, l'absence de mystère et le côté très prévisible du dernier tiers du récit, on ne peut pas dire que la lecture soit particulièrement palpitante. On a du mal à s'attacher aux protagonistes, Charlie posant un regard très dur sur sa mère comme sur Hollis ou même sur son voisinage. Quant au seul personnage un tant soit peu intéressant, à savoir Lacy, celui-ci se retrouve balayé de l'histoire, pouf, comme ça. Certes, les évènements le justifient, mais c'est tout de même dommage. Alors que la narration à la première personne aurait pu faciliter l'immersion, l'on ne se trouve clairement pas plongés dans la fin des années 60 : les télés à râteau captent mal les deux chaînes existantes et il y a du lino par terre, mais ce sont pratiquement les seuls éléments de décor auxquels l'on aura droit. Et toujours, cette absence d'enjeux, avec pour héros un personnage complètement passif qui ne peut que subir, du haut de son jeune âge, la volonté des autres. Au final, L'enfant sans mémoire souffre d'un souci récurrent dans la littérature blanche : la forme prend tellement le pas sur le fond que l'on se demande carrément, parfois, quelle est censée être l'histoire...

Il ne s'agit pourtant pas d'un mauvais livre. Clairement, ça se lit. Mais le truc est non seulement tellement à des années-lumières de ce que promettait le résumé, et à ce que l'on pouvait attendre d'un livre publié dans les Best-sellers féminins d'Harlequin, et d'une lenteur abominable pour, finalement, pas grand-chose, que l'on ne sait tout simplement pas quoi en penser en le refermant.

Les amateurs de littérature blanche apprécieront sûrement, pour ma part, j'ai trouvé ça fade.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}