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Critique de Rolienne


Quand voyage rime avec reportage, on n'est plus un touriste mais un journaliste. Quand le reportage tricote des choses vues, prises sur le vif, en direct de son coeur et de sa libre observation, on produit un témoignage d'exception (*).
Voyage, reportage, témoignage : tel est l'itinéraire historique, littéraire et philosophique auquel nous invite à chaque page un Alfred Döblin notant ses impressions et expériences tout au long de sa traversée de la Pologne en 1924, pays alors récemment indépendant.
Qui dit « voyage » dit « bagages », et on en a des bagages au lendemain du redécoupage de l'Europe Centrale après la 1er guerre mondiale : bagages des préjugés racistes, des espérances religieuses et des contradictions nationalistes.
Le reportage consiste en des repérages de lieux de mémoire désormais en compétition : églises, châteaux, statues, places, ponts, etc., restaurés ou détruits selon l'épopée exhumée ou l'héroïsme banni. Si l'histoire a un sens, Döblin nous fait aussi sentir son arbitraire : qui dit mieux actuellement ?
Pas d'authentique témoignage qui ne soit exempt d'un zeste de bavardage, voire d'une touche de commérage. Alfred Döblin filme et interviewe avec sa plume tous les petits mondes qu'il rencontre en chemin : ghettos juifs peuplés de croyants bienheureux malgré la misère et la souffrance, dignes campagnes traditionnelles où courent ressentiment et frustration face à tous ces changements pas très catholiques, industries performantes qui manifestent la foi dans l'avenir technique et scientifique.
L'auteur entend les convictions révolutionnaires des idéologues ou le ton débonnaire des représentants officiels, photographie les signes de l'ordre autoritaire qui s'annonce, et sait décrypter l'absurdité des temps nouveaux qui va nourrir la rancoeur des peuples qui, pour l'instant, s'agenouillent.
Etonnamment, il se dégage du style du fameux écrivain berlinois, plutôt connu jusque là pour son réalisme, une constante poésie et une émotion vraie. On le sent bouleversé et méditatif quant aux sort fait aux juifs, aux impasses des gouvernements d'état, mais surtout il garde sa distance vis-à-vis d'une modernité propre sur elle. Il préfère la vérité organique des pauvres qui vivent avec des valeurs à la réussite glamour de rues pleines de vitrines rutilantes.
Lire ce « Voyage en Pologne », c'est parcourir ce qui fut une belle culture ashkénaze, variée et vivante, mais dont il ne resterait rien vingt ans après. Pour le citoyen du monde d'aujourd'hui, cette lecture provoque un frisson et une interrogation. À l'époque de l'écriture du livre, Alfred Döblin évidemment ignorait cette suite tragique et c'est ce qui rend extraordinaire son partage.

(*) Alfred Döblin « Voyage en Pologne » publié par Flammarion en 2011

Patricia JARNIER Tous droits réservés - 29 septembre 2012
Lien : http://www.babelio.com/ajout..
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