Les Romanov

Catherine se manifeste à nouveau. Anonymement, elle rachète le fonds d’ouvrages et, dans sa très grande bonté, fait savoir qu’elle les laisse à son auteur, sous forme d’usufruit. « Ce serait une cruauté de séparer un savant de ses livres. » Le coup est magistral. Devant une telle générosité, Diderot ne peut que remercier sa bienfaitrice. Et une lettre n’y suffirait pas !

Elle sait que le principal adversaire des Russes n’est ni la Prusse ni la Suède ni l’Empire ottoman mais l’éternel hiver qui s’abat sur les plaines enneigées, engourdit la nation tout entière, la fait tomber dans la léthargie, la paresse, la fainéantise.

Si Pierre le Grand a libéré la femme russe des servitudes héritées de l’influence mongole et orthodoxe, sa digne héritière symbolise le triomphe de la féminité. Grâce à elle, par elle, la femme n’est plus seulement une épouse, une mère, une nonne. On sait désormais qu’elle peut être une intellectuelle. Qu’elle peut être une libertine ! Si, plus de deux siècles après sa mort, le vaste empire continue de lui faire référence, si la Russie d’aujourd’hui revendique son règne, ce n’est que pour mieux renouer avec la grandeur de son passé. Qui sait… peut-être aussi avec ses libertés !

En affaires, Catherine la Grande est redoutable ! En réalité, elle n’a pas l’habitude qu’on lui résiste. Pour elle, tout s’achète, tout se gagne.

« Ce qui fait la valeur d’une pièce de monnaie, ce n’est pas l’or, l’argent, le cuivre, la matière plus ou moins précieuse utilisée pour la confectionner, mais l’image du souverain frappée sur le métal. C’est la volonté du souverain exprimée par cette image d’attribuer à ce morceau de métal une efficacité telle qu’on l’accepte sans hésiter en retour de choses ayant une valeur réelle. Dès lors, la matière dont cette pièce de monnaie est faite importe peu. La volonté du monarque serait-elle d’attribuer la même valeur à un morceau de cuir, à une feuille de papier… cela suffirait et il en serait ainsi ! »

En réalité, si Pierre le Grand n’a pas encore mis son plan à exécution, c’est qu’il hésite. Quel châtiment réserver à une femme qui a osé trahir, osé briser le cœur de l’un des plus grands souverains au monde ? Il songe, un instant, à l’emmurer vivante, à la livrer à une meute de loups, à l’égorger de ses propres mains… Mais… rien ne trouve grâce à ses yeux. Po

Un souverain respecté doit être un souverain redouté ! La Russie ne peut être construite et dirigée que par un pouvoir fort. »

Une douzaine de filles, ni jeunes ni belles, mais des femmes qui s’y connaissent « dans les choses de l’amour ». Au creux de leurs bras, il n’y a plus de seigneur, plus de tsar, juste un homme en quête de plaisirs, un amant qui se fait appeler « Herr Peter ».
Dans ces folles nuits de débauche, le tsar n’est pas seul. Son plus fidèle allié est le général et amiral François Lefort, un Genevois qui maîtrise plusieurs langues. Une aubaine ! Le Suisse lui ouvre les portes de toutes les maisons. Ensemble, le souverain et son compère règnent sur une vraie bande de lurons, des soûlards, des noceurs, des trousseurs de jupons, des bandits pour la plupart. Leur jeu favori consiste à vider un minimum de dix-huit bouteilles et à dépuceler autant de jeunes filles.

Difficile, en effet, d’imaginer le jeune et frêle Romanov doté de la force et de l’énergie nécessaires pour accomplir l’immense devoir qui l’attend. Sans doute l’Histoire lui a-t-elle confié un costume un peu grand. Et pourtant ! S’il ne deviendra jamais un stratège politique, au fil des mois, l’empereur se révèle être un homme doté de clairvoyance. Mikhaïl Romanov écoute, retient, analyse. « Il faut commencer par traquer les pillards et les voleurs. »