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Critique de Apoapo


Le monologue de Cornélius van Zandt, écrivain de cinquante-trois ans, commence par le pressentiment de sa mort, se déroule tout au long de la manifestation et de la progression de sa tumeur cérébrale, et s'achève par son passage à l'acte suicidaire par coup de feu.
La narration du sujet à la première personne constitue autant une sorte de bilan nihiliste de son existence, dans la noirceur de la plus extrême désespérance, que sa préparation au suicide. Elle est sans cesse interrompue alternativement par deux narrations parallèles au "tu" : l'une s'adresse à Socrate, dont une relecture fort originale mais bien littérale des textes platoniciens et autres permet à l'auteur de reconstituer la dernière nuit de vie, entre la sentence de mort et l'absorption de la ciguë, et de livrer du grand philosophe une image complètement contemporaine, anti-éthique anti-héroïque plutôt nietzschéenne, dans toute sa parenté complice avec le narrateur. L'autre narration à la deuxième personne est un message de dédicace de sa vie et de ce récit adressé à la fille de Cornélius, avec qui il n'a jamais vécu et dont la croissance abandonnique n'a qu'épisodiquement rencontré le père, fatalement dans l'échec.
Ce récit trempe et submerge dans l'abjection absolue. La misanthropie, plus particulièrement la misogynie systématique, le blasphème, l'érotomanie obsessionnelle, le racisme, la haine de soi et de la vie y sont omniprésents. Seul soupirail d'issue, seul espoir de tangence : certains passages adressés à la fille.
Mais là justement s'est opéré en moi, lecteur, le déclic de la mise à distance : il s'agit toujours de la constante fiction romanesque ; et le critère ultime réside dans l'efficacité du leurre de la vraisemblance d'êtres et de sentiments fictifs.
De ce point de vue-là, ce roman est une réussite magistrale. Il parvient à imprégner le lecteur et à lui provoquer des crampes d'estomac et toutes sortes de symptômes psychosomatiques délétères... En même temps, tout en devinant dès le début l'issue du récit, il est saisi de cette morbide impatience qui lui fait répéter, avec Cornélius :
"Crève, que je me dis. Mais crève, salope! Qu'est-ce que t'attends, pourriture? Décérébrée ordure! Crève. Mais crève donc!
Oui, la rage est une bonne amie..." (p. 301)

Deux mots sur l'auteur. Psychanalyste membre de la SPP, il est connu surtout pour l'étonnant exploit d'avoir partagé pendant des années la vie des SDF en en ayant retiré un essai, Les naufragés, et un pamphlet, le sang nouveau est arrivé (que j'avais lu).
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