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Critique de Bdotaku


Ce roman graphique de Julia Bourdet paru aux éditions Stock graphique est une adaptation de l'oeuvre du président de l'Académie Goncourt , Didier Decoin parue en 2017 et vendue alors à plus de 100 000 exemplaires. Je dois avouer que je ne le connaissais pas mais que, d'emblée, j'ai été attirée par ce titre énigmatique quasiment oxymorique : « le bureau des Jardins et des Étangs » qui associe l'activité humaine dans ce qu'elle a de plus artificiel ( la paperasserie !) et la nature. C'est un roman historique, mais aussi un roman d'amour sensuel, un roman d'aventures et aussi un roman spirituel où l'on rencontre les esprits des défunts ou ceux des eaux, capables d'avaler l'âme des humains... C'est également le roman initiatique de la jeune Miyuki, veuve trop tôt, et qui n'a jamais quitté son village que par les histoires que lui contait son défunt mari au retour de ses pérégrinations. C'est une ode aux cinq sens où l'on entend chaque bruissement de la forêt, où l'on sent la délicatesse des parfums ou la puanteur de l'eau saumâtre, où l'on goûte la pulpe d'un kaki trop mûr, où l'on ressent la douceur des soieries, où l'on peut entrevoir un esprit et voir la beauté d'une femme cachée sous des haillons.

Suivre l'histoire de Miyuki, c'est plonger non seulement dans les eaux fraiches de la rivière Kusagawa, ou celles moins limpides des étangs sacrés, mais également dans le monde étrange du Japon ancien. Un monde de valeurs, de croyances et de traditions si singulières que la lecture se transforme elle aussi en voyage extraordinaire alors l'adapter était un défi de taille qui n'a pas semblé intimider la toute jeune autrice Julia Bourdet dont c'est la première bande dessinée.

Tout d'abord, elle prend son temps et nous offre un bel album de plus de 200 pages dans lequel les doubles pages et les pleines pages muettes sont, comme les pauses narratives dans le roman, des respirations invitant à la contemplation. Elle utilise également en voix off, les pensées de Miuyki et les narratifs extraits du roman. Les phrases sont amples, imagées, le vocabulaire à la fois précieux et choisi. Nous voici, telles les carpes dont il est question, hameçonnés par cette belle littérature poétique que l'on croirait sortie tout droit d'un conte japonais mais qui est le fruit d'un gros travail de documentation que l'on retrouve dans une notice bibliographique en fin de volume. Elle choisit de varier le découpage et l'utilisation du gaufrier en utilisant tantôt la gouttière et des cases classiques, tantôt des vignettes « crénelées » pour les flashbacks et les pensées de l'héroïne remplaçant ainsi de façon élégante le discours indirect libre privilégié par Didier Decoin.

Elle varie les styles aussi : le rêve est transcrit dans des pages noir et blanc très stylisées qui contrastent avec le reste de l'album réalisé en bichromie. Julia Bourdet ajoute également sa propre grammaire en dotant chaque lieu d'une couleur spécifique. Couleurs qu'on retrouve dans l'art japonais. Ainsi, le village est dans les camaïeux de beige, la capitale et la cour impériale sont évoquées par le rouge , le parcours pédestre de Miyuki est en vert, ses arrêts dans les temples en orange, sa rencontre avec la mère maquerelle et son expérience de belle de nuit en bleu sombre et les dernières pages qui relient entre elles toutes ces expériences sont multicolores et reprennent le style et la palette des estampes brocard, les nishiki-e ! Chaque couleur marque donc une étape et apporte en même temps que de la fluidité au récit une association des sens qui n'est pas la même que dans le roman ( dans lequel chaque lieu a une odeur ) mais est tout aussi efficace.

Pour retranscrire la beauté et l'ancienneté de ce Japon du XIIe siècle, elle s'inspire du théâtre No et surtout des ukiyo-e, ces images du monde flottant. Elle les connaît bien car elle a travaillé en tant que graphiste à la mise en place du site d'une galerie spécialisée en vente d'estampes japonaises : Uchida Gallery. Elle a pu tout à loisir en contempler de nombreuses tout en bénéficiant des conseils avisés de ses clients. Elle réalise souvent des pleines pages comme la planche d'ouverture qui reprend un tableau célèbre d'Hiroshige tels les « 53 stations d'Hokkaido ». L'enfant Kintaro à la carpe qu'on trouve p.86 est une reprise d'une estampe de Yoshitoshi tandis que les belles de nuit et les dames de la cour semblent droit sorties des oeuvres de Kitagawa Utamaro. A sa manière elle leur rend hommage en adoptant un trait cerné de noir et un style très épuré.

La dessinatrice s'inspire aussi des films d'Oshima pour les scènes érotiques. On a ainsi l'impression de regarder « L'Empire des sens » lorsque l'héroïne se remémore ses étreintes ou bien quand on aperçoit une jeune femme captive en shibari (bondage japonais) dans la maison close. C'est donc, vous l'aurez compris un très grand coup de coeur ! Ce livre est à déguster lentement et cérémonieusement…J'espère que cette première oeuvre atypique et dépaysante rencontrera le succès qu'elle mérite et que Julia Bourdet nous enchantera bientôt à nouveau.

chronique augmentée et ITW de l'autrice sur notre site www.bulles 2dupondt.fr


Lien : https://bulles2dupondt.fr/20..
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