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Critique de Annezzo


Alors, ces Ouïghours,
dont je n'avais pas du tout envie de connaître le martyr, trouvant que l'Ukraine était déjà bien suffisante en ce domaine, mais puisque je connais l'auteur, Laurence, et que je lui fais confiance, allez, j'y plonge…
Eh bien, c'est la même lutte. Ukraine, Ouïghourie, peuples qu'on veut sacrifier, et j'y ajoute les Kurdes. Dans ces trois cas, le dictateur du coin décide que ces gens doivent disparaître, que leurs terres sont à lui, que leur présence juste à côté de sa Béatitude Eclairée est une insulte et qu'il faut les punir. Trois configurations différentes, donc trois manières de tenter d'éradiquer le peuple en question, mais ça reste le même fonctionnement.
J'avoue, quand, à l'époque des attaques terroristes en France puis en Europe, j'ai entendu parler de la Chine qui avait aussi sa population musulmane et terroriste, ça m'a interpelée. Et leur manière à eux de combattre ces crimes et attentats me plaisait bien : on ne donne ni le visage ni le nom des assassins aux media, on les colle dans des camps au loin et crac, on a la paix. Pif paf, l'autorité chinoise, eh eh, ça a du bon !
En lisant le livre de Laurence, je découvre que le vénérable Xi a utilisé en maestro la vague d'attentats en Occident, pour "officialiser" la destruction des peuples qui le gênent dans son équipée commerciale, la fameuse "Route de la soie". Il a construit sa petite machine à exterminer en 2017, et comme il a du monde à domicile, il a fait du coin un authentique cauchemar à la Orwell, utilisant (c'est la première fois dans l'histoire du monde) la technologie moderne pour surveiller chaque habitant 24h sur 24h. Il n'a rien contre eux, contrairement à un Putin qui méprise les Ukrainiens et veut les écraser comme des cafards - ou un R-dogan qui ne peut pas blairer les Kurdes. Xi, il n'a pas d'états d'âme - on ne sait d'ailleurs pas s'il a une âme...
Ces peuples musulmans - les Ouig mais aussi les Khirghizes ou les Kazakhs - soit une douzaine de millions de gens, sont donc devenus, "grâce" aux attentats, d'affreux terroristes daeshiens qu'il faut écraser de la semelle, dans la version Xi.
Or, les Ouig sont musulmans comme toi tu es catho : c'est la religion locale. Là-bas il y a des mosquées comme ici il y a des églises, là-bas il y a quelques rites religieux comme ici on fête Pâques ou Noël, rien de très violent, et ce, depuis des siècles. Il y a une langue ouig, des coutumes, une architecture ancestrale, des chants et danses, une littérature (beaucoup de poésie notamment). Une belle histoire, que j'ai découverte dans le livre de Laurence - elle m'avait dit "passe la page 37, tu vas te régaler avec l'historique de la région" et c'était vrai.
Nous prenons donc connaissance de la région elle-même, peu peuplée, encaissée dans les terres et traversée de montagnes et déserts, au nord-ouest de la Chine. Immense (la plus grande province de Chine avec son millions et demi de km2), elle partage une tripotée de frontières avec des pays du même style (ou pas) : la Mongolie la Russie le Kazakhstan le Kirghizistan le Tadjikistan l'Afghanistan le Pakistan et l'Inde, rien que ça. On y trouve du gaz, du pétrole, des minéraux, pour leur plus grand malheur.
Et une histoire qui commence il y a 2500 ans, riche en brassages, en guerres de conquête, et avec une vraie vivacité artistique.
Ils ont tout rasé. Les vieilles villes, les mosquées, les ruelles et les souks, l'artisanat, les villages. Une pitié (je suis sensible à ça, de quoi pleurer). Ils ont construit du moche, du communiste, du béton. Ils ont construit aussi des camps à n'en plus finir, avec miradors, barbelés, tout ce qu'on aime.
Mais si ce n'était que ça. Je n'en dis pas plus, quand on arrive à l'histoire récente, c'est à chaque page qu'on s'arrache les cheveux en découvrant le piège infernal que Onze a construit autour des Ouig. C'est surréaliste, implacable.
Et puis l'éradication physique en commençant par l'éradication mentale. Tu es né dans les années 80 ou 90 ? Tu es suspect, allez, prison. Tu as passé un coup de fil à un cousin en Suède il y a quatre ans ? Allez, prison. Tu ne manges pas de porc ? Allez, au trou. Tu as du porc dans ton frigo, mais pas assez ? Allez, on t'embarque. Je passe sur les tortures et viols que subissent ces condamné(e)s, sur les grossesses qu'on fait cesser (ou si elles vont à terme, on tue les bébés), les stérilisations. Juste un détail "supportable" qui en dit long : une femme raconte qu'elle s'est retrouvée prof de mandarin dans un camp. Elle s'installe donc dans sa salle de cours, et voit qu'on place des barres à la porte d'entrée. C'est pour obliger les "élèves" (prisonniers adultes, de tous âges) à entrer en rampant sous les barres…
Je n'en dis pas plus, donc. On étouffe.
Envie de conserver un vague espoir, à la fin du livre, avec la communauté internationale qui commence à se remuer. le livre de Laurence participe à ce mouvement, suis fière de l'avoir lu, fière pour elle qu'elle l'ait écrit. A présent, comme pour les Kurdes (que Patrice Franceschi m'a fait aimer), comme pour les Ukrainiens (qui se baladent dans mon sang), je suis attentive à la lutte des Ouighours et je les porte en moi.
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