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Critique de nilebeh


Masseïda est venue d'Afrique, migrante des années 1900, -déjà ! - qui a connu un passage sur un bateau avec viol et violence - déjà ! - et s'est retrouvée à Montmartre avec pour tout bagage sa ferme volonté et sa grâce de déesse bambara. Sa voix aussi. Quand elle chante une mélopée de son village, tout le Chat Noir retient son souffle, subjugué. Parmi les spectateurs, dans une faune hétéroclite, les marlous de Paris les artistes qui crèvent de la vie de Bohême, les proxénètes qui la mettraient bien sur le trottoir, les gigolettes et les filles de joie-filles de peine. Mais surtout, lui, Steinlen, l'artiste peintre des chats, celui qui réalise des lithos et les affiches du Chat Noir, le peintre flamand déjà vieux et chenu, qui n'attend plus grand-chose de la vie ni de son art. Ses plus belles toiles, il les cache sous des toiles blanches dans le secret de son atelier. Là où débarque un jour la belle Africaine qui cherche refuge. Et un nouveau départ sera donné à sa vie.

Ce livre, beau et secret comme un poème africain, comme un tissu peint par le peuple bambara, fait revivre pour nous, lecteurs repus et bénéficiaires d'une paix inestimable dont le sens nous échappe, le monde des années d'avant la guerre de 14-18, dans ce Paris populaire, pas encore pris d'assaut par la bobo-itude actuelle, ces rues Caulaincourt (où vit Steinlen) Saint-Vincent (chantée par Bruant), Lepic (d'avant Amélie Poulain). Il y a là mille vies, mille destins qui se côtoient, s'acceptent, se respectent. Allez vous promener Place du Tertre aujourd'hui...

L'amour-amitié qui lie Steinlen et Masseïda est tendre et respectueux, plein de compassion et d'indulgence. Malheureusement, les fléaux de l'époque font des ravages : la misère, l'absinthe qui nécrose le cerveau, et puis la Guerre, la der des Der, qui embauche à tour de bras les Parisiens, comme les autres, les gamins qui rêvent de gloire, les Africains, à qui, enfin, on dit merci d'être là ! Pour mieux les oublier, quand les hostilités auront cessé....

J'ai aimé le style de cet auteur, qui allie l'argot gavroche du titi parisien, la langue verte des artisans et des artistes à un français limpide et poétique, tout empreint de la grâce africaine. J'ai aimé le courage de la jeune femme, la voir lire lire son passé détestable dans les yeux dorés filtrants d'un des chats qui l'entourent. J'ai aimé Vaillant, le chat dévoué et courageux qui la vengera de l'infamie.

J'ai aimé découvrir Steinlen autrement qu'à travers ses portraits de chat, Steinlen qui n'a plus la force nettoyer sa pierre à lithos mais qui y croit encore, qui essaie encore, grâce à Masseïda.

J'ai aimé ce tourbillon d'images, de sensations, d'émotions, cette sensualité affleurante à tous moments, cette peinture sensible, douce et crue à la fois, bien éloignée de ce que vendent aujourd'hui aux touristes les artistes de la Place du Tertre...


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