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Critique de Woland


ISBN : 9782857048169

A l'exception de Marie-Antoinette, que le peuple et ceux qui montaient contre elle d'infâmes cabales avaient pris l'habitude de surnommer "l'Autrichienne", aucune reine de France n'a été aussi cordialement haïe et vilipendée qu'Elisabeth von Wittelsbach-Igolstadt, mieux connue dans L Histoire sous le nom, péjoratif, d'Isabeau de Bavière. Mais cette haine, qu'elle n'eut guère à affronter de son vivant, elle la doit à certains historiens du XIXème siècle, les mêmes sans doute qui ont fait de Catherine de Médicis une empoisonneuse obsédée par les devins et la magie et d'Anne d'Autriche, une femme entièrement dominée par Mazarin. A leurs yeux, Isabeau - gardons-lui le prénom sous lequel elle devait devenir si célèbre - avait le tort irréparable d'être femme et étrangère, dans un pays déstabilisé par les rivalités entre les oncles du roi son époux, Charles VI le Fol. Philippe Delorme, visiblement tombé sous le charme de cette destinée injuste, tente de rétablir ici une vérité évidemment plus nuancée.

Mariée par les bons soins du duc de Bourgogne, Philippe II le Hardi, Isabeau est, dès le départ, sous l'influence du tout-puissant oncle de son mari. Elle n'a que quatorze ans, son futur époux seize à peine et elle aura de lui douze enfants dont quatre seulement dépasseront les trente ans. Jusqu'à sa septième grossesse, la reine se retrouve enceinte tous les deux ans, voire tous les ans. Après la naissance de Michelle de France, qui épousera Philippe III de Bourgogne, petit-fils de Philippe le Hardi, Isabeau aura un répit de quatre ans. Mais, à partir de 1397, les grossesses reprennent avec un délai d'un à deux ans. Trois ans cependant sépareront le petit Charles, futur Charles VII, de son frère Philippe, dernier enfant du couple, mort à quelques jours, en 1407. Certains s'étonneront, après ces douze grossesses, que la petite princesse fine et svelte soit devenue, avec les années, une reine en surpoids qui avait parfois bien du mal à se déplacer. le pire est que les historiens machistes du XIXème se sont servi de cette image d'obèse pour accabler un peu plus Isabeau, accusée de se goinfrer à ne plus finir.

Se vengeait-elle sur la nourriture, cette femme qui, dès août 1392 - elle n'a que vingt-et-un ans mais a déjà donné le jour à cinq enfants - réalise qu'elle est mariée à un dément - de nos jours, on parlerait probablement de schizophrénie ? A compter de la crise de folie du 5 août 1392, dans la forêt du Mans, Charles VI ne retrouvera plus jamais la raison. Certes, il y aura des accalmies pendant lesquelles il tentera de reprendre plus ou moins les rênes du pouvoir mais elles ne seront jamais suffisamment longues pour prévenir le mal qui guette, puis envahit le royaume : la guerre civile. Pour Isabeau par contre, il n'y aura pas d'accalmies. Vaille que vaille, elle devra protéger ses enfants et elle-même au sein de la terrible lutte de pouvoir qui oppose le duc de Bourgogne, dont, bien que reine de France, elle demeure l'obligée, et Louis, duc d'Orléans et frère de Charles VI. Et les choses ne cessent d'empirer jusqu'à ce que Jean Sans Peur, fils de Philippe le Hardi, met à profit la mort de son père pour faire assassiner le duc d'Orléans dans une ruelle du Paris médiéval.

Le duc de Bourgogne est allé trop loin mais qui osera le lui dire ? qui osera l'en punir ?

Pendant les années qui suivent, Isabeau louvoie entre les deux factions, celle du Bourguignon assassin et celle des Orléans, qui réclame justice. Il faut se rappeler que, son mari étant toujours en vie et revenant de temps à autre à la réalité, elle doit agir sans l'aide des outils d'une régence normale. Contrairement à ce qui se passa pour Blanche de Castille, mère de Louis IX, ou encore pour Catherine de Médicis et Anne d'Autriche, Isabeau ne fut jamais régente et ne disposa jamais de la légitimité et de la puissance conférées par cette fonction.

Face à elle et sans se soucier un seul instant du bien de l'Etat, des mâles qui concluent alliances et traités contre nature. Dès l'assassinat de son cousin d'Orléans, Jean Sans Peur s'allie avec une faction populaire parisienne dominée par les écorcheurs et les bouchers (les Cabochiens, ainsi appelés du surnom de leur chef, Simon Caboche) : de véritables massacres ensanglantent la capitale qui aspire bien vite à voir les Armagnacs - ou partisans des Orléans - reprendre le pouvoir. (Entrés à Paris, les Armagnacs ne s'y comporteront pas mieux.) Mais Jean Sans Peur va faire bien pire : il s'allie aux Anglais, dont le roi, Henry V, le vainqueur D Azincourt, rêve de reprendre la couronne de France à son compte.

Les Armagnacs profitent d'une entrevue que le Dauphin Charles accorde au duc de Bourgogne pour assassiner celui-ci. le Dauphin était au courant du projet et ne s'y est pas opposé. Les Bourguignons crient alors au scandale et juge cette complicité indigne d'un futur roi. Isabeau essaie toujours de concilier l'inconciliable et ne se résout qu'au dernier moment à accepter le honteux traité de Troyes qui, le 14 mai 1420, nie l'habileté à succéder à son père du Dauphin en raison de ses "crimes énormes." Certes, les Bourguignons songent bien à mettre en doute sa légitimité mais la campagne de calomnie s'achève assez vite car cela embarrasserait trop sur le plan diplomatique - d'autant que Henry V va épouser la soeur de Charles ... La rumeur, une fois lancée, sera mise en sommeil - et les pseudo-historiens du XIXème siècle n'auront qu'à la relever, faisant de Charles VII le fils adultérin d'Isabeau et de l'un des ses amants. (Cette femme accablée de grossesses, ce qui implique kilos à prendre et kilos à perdre, aurait passé son rare temps libre à lever la jambe un peu partout, avec la légèreté et la souplesse d'une danseuse de cancan. On peut s'interroger sur la nature exacte de la haine qui engendre de tels fantasmes ... )

Assez ironiquement, la rumeur prêtera également à Isabeau un autre enfant, lequel ne serait autre que ... Jeanne d'Arc, celle qui "bouta les Anglois hors de France" et qui rétablit en son droit le "soi-disant Dauphin Charles". La logique machiste et catholique atteint ici son summum (de ridicule ) : perdu par une femme (Isabeau-Jézabel, la Putain), le royaume de France est remis sur les rails par une femme (Sainte Jeanne, la Pucelle).

Isabeau de Bavière devait s'éteindre le 24 septembre 1435, à Paris. Jeanne d'Arc l'avait précédée de quatre ans dans l'Au-delà, les Bourguignons et les Armagnacs venaient enfin de se réconcilier, les Anglais avaient réembarqué et son petit-fils, Louis, futur Louis XI, l'un des plus grands rois de France, avait douze ans et songeait déjà à faire tourner son père, Charles VII, en parfaite bourrique.

Lisez "Isabeau de Bavière", de Philippe Delorme, écrit peut-être sans grandes envolées mais qui rend humanité et honneur à l'une des reines de France les plus courageuses et les plus injustement calomniées. (Et passez aussi les pages Wikipédia sur la malheureuse : Michelet n'aurait pas fait pire.) ;o)
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