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Critique de Luniver


Comment vivent les domestiques aujourd'hui ? Dans notre imaginaire, les bonnes en tenue noire et petit tablier blanc, ainsi que les majordomes en queue de pie portant un plateau d'une seule main, semblent appartenir au passé. Les grandes richesses continuent pourtant d'avoir du personnel de maison, et ce livre, entre reportage et essai sociologique, nous dévoile ce qui se passe dans ces grandes maisons inaccessibles.

La première chose qui frappe, c'est le sentiment de reconnaissance des domestiques envers leurs patrons : vivre dans des lieux inaccessibles à leur classe sociale, apprendre à leur contact (les codes sociaux, le « bon goût », gérer son argent, …). L'identification aux patrons est forte : on remarque dans les discours des « nous » qui incluent les riches et leurs domestiques, contre le reste de la société moins fortunée. Que ce soient chez les jeunes diplômés (car oui, désormais on peut être BAC+5 et servir les grandes fortunes) ou chez les immigrés qui parviennent à se faire embaucher, le discours est le même : « quelle chance ! » d'avoir un bon salaire, le logement et le repas offert, et des petits cadeaux à la pelle. du côté des patrons, même discours : « ils font partie de la famille » ou « je les considère comme mes enfants ». A priori donc, c'est du gagnant-gagnant.

Cette belle vitrine se fissure pourtant au fur et à mesure du récit. « Faire partie de la famille », ce n'est en fait pas le bon plan. Car être logé, nourri et recevoir des cadeaux, ce n'est pas la même chose que percevoir seulement un salaire : on entre dans une logique de don et contre-don, et le domestique doit « rendre la pareille » avec un dévouement sans borne. Après tout, quand on aide un ami à déménager, on ne négocie pas des pauses régulières et un strict respect des règles de sécurité. Et la relation ici est profondément asymétrique : si l'employé se sent très chanceux, redevable et n'ose rien réclamer, l'employeur n'hésite pas à changer de domestique au premier relâchement.

D'autres pratiques sont très déshumanisantes. J'ai été assez frappé par le racisme assumé des riches : « les noires sont costaudes et travaillent beaucoup », « les arabes cuisinent bien mais sentent mauvais », « les asiatiques sont fourbes ». On renomme aussi les nouveaux employés avec les prénoms des précédents, pour ne pas devoir se fatiguer à les apprendre. On remarque aussi un profond isolement social des domestiques : avec quelques heures de sommeil par nuit et un seul jour de congé par mois, difficile de tisser ou d'entretenir des liens. L'employeur devient donc effectivement la seule « famille » qu'ils leur restent, car les relations deviennent impossibles avec le monde extérieur.

Pourquoi ces domestiques restent-ils donc à leur service ? L'effet « cage dorée » est très marquant. En partant, ces personnes quitteraient un emploi dur, abusif mais bien payé pour un emploi dur, abusif et mal payé. Les contrats de travail sont généralement faits pour être payé un maximum au noir, ce qui signifie un droit au chômage presque nul et une retraite ridicule. Les personnes immigrées ne sont pas certaines de pouvoir rester dans le pays si elles perdent leur travail. Certains employés viennent des gros chantiers ou de la prostitution de rue : faire le ménage et supporter des caprices peut sembler un sort plus doux en comparaison.

Si on avait l'impression d'un double jeu de dupes au départ (certains domestiques semblent penser « les avoir » en jouant le rôle qu'ils attendaient d'eux), on constate que comme toujours dans ces situations, les riches s'en sortent mieux que les pauvres.
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