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Critique de Christophe_bj


Attention, livre à ne pas manquer ! ● Théophile de Saint-Chasne, fils de diplomates en poste à La Paz en Bolivie, vient de réussir un concours pour être professeur de français et découvre l'univers de l'« Education pour tous ». Très cultivé, traditionaliste, écrivant ses cours à la main, dénué de téléphone portable, il a un choc lorsqu'il réalise concrètement ce que le pédagogisme du ministère et de sa tutrice attend de lui : objectifs de cours, progression annuelle, etc., le tout informatisé, bienveillance standardisée, démagogie, « classe inversée », fractionnement de tout, relativisme culturel… Il juge que tout cela est d'une grande bêtise et inutilité, alors que son but à lui est de faire aimer et comprendre les grands auteurs. Parallèlement, un mystérieux personnage, présenté comme un démon, se présente à Patrice Désormais, un inspecteur pédagogique régional à la fois prétentieux, autoritaire et grotesque : la créature diabolique sait tout de lui, et le met particulièrement en garde contre le professeur stagiaire de Saint-Chasne, qui se trouve désigné comme l'ennemi du diable… ● C'est un roman profondément original, unique dans le paysage littéraire actuel. Comme le dit Patrice Jean dans sa préface : « Il n'existe aucun roman pareil à celui-ci. » ● Son style, déconcertant de prime abord, s'inspire de la prose des siècles classiques, avec beaucoup de subordonnées, un usage constant de l'imparfait du subjonctif, une graphie surannée plutôt dix-neuviémiste, comme « long-temps », « poëte », « très » relié à l'adjectif qualificatif par un trait d'union, par exemple « très-habile », l'antéposition du pronom COD ou du pronom réfléchi (« elles ne le devaient pas alarmer »), un vocabulaire rare et recherché, l'absence de ponctuation propre au discours direct… ● Mais ce style n'est pas là pour « faire joli » : il prend sens avec le fond du roman, consacré à l'Education nationale ; il vient mettre en évidence par contraste le langage abâtardi d'aujourd'hui, celui qu'on fait apprendre aux jeunes et celui qu'ils parlent ou le jargon de l'institution, l'auteur n'hésitant pas à associer son langage extrêmement soutenu à celui des jeunes entre eux ou à quelques exemples d'écriture inclusive ou de langage « Education nationale » comme « apprenant.e.s ». ● Avec cette prose désuète et magnifique, Jérémie Delsart traite de tous les maux de l'Education nationale, mais il le fait avec un talent et un brio virevoltants et les insère dans un vrai roman vivant et passionnant. ● Il imagine que le pédagogisme est littéralement l'oeuvre du diable et met en scène le démon dans son récit à la fois fantastique et (tristement) comique. ● Théophile (celui qui « aime Dieu »), étudiant brillant, se heurte aux médiocres de l'Education nationale, qu'ils soient enseignants à l'ESPE, inspecteurs ou collègues. ● « Notre héros », comme l'écrit l'auteur, a « une vision passéiste de l'enseignement ». Ses formateurs le considèrent comme un « petit singe savant », d'autant plus qu'il est bien plus intelligent et brillant qu'eux. ● Si l'on est venu à l'enseignement par amour de la littérature, alors il faut s'empresser de la troquer contre de mauvaises recettes pédagogistes et se conformer en tout point aux injonctions imbéciles et « corruptrices » de l'« Education pour tous » ● le ministère a pour objectif de culpabiliser les professeurs stagiaires : « il fallait que les stagiaires se sentissent coupables de tout – épreuve nécessaire pour qu'ils fussent titularisés en adultes pleinement responsables. » ● Si le professeur a des problèmes dans sa classe alors c'est toujours sa faute ; il doit revoir sa pédagogie. ● « L'année de stage est ainsi faite qu'elle n'offre pas d'autre choix au stagiaire que l'art de feindre ou la ruine de ses idéaux, et souvent un mélange confus des deux. » ● « 'Il faut admettre que la véritable pédagogie se moque de la pédagogie', écrivait pourtant Gusdorf – mais c'était en un temps où la pédagogie ne s'était pas encore soustraite aux disciplines pour devenir elle-même la discipline d'une troupe d'intrigants avides de faire oublier leur misère dans la singerie des sciences qui leur allait donner tant de crédit auprès des technocrates. » ● Les portraits des formateurs, tous à charge, sont néanmoins pleins de réalisme ; ainsi par exemple un formateur « donnait un cours sur l'enseignement au lycée, bien qu'il n'y eût jamais enseigné ». Il prodigue des conseils de gestion de classe, lui qui ne savait pas tenir les siennes et est venu à la formation en ESPE pour ne plus en avoir… Tous ceux qui sont passés par l'ESPE ou par l'IUFM s'y retrouveront… ● On ne peut s'empêcher de penser que tout le roman est un vaste mécanisme de vengeance de la part d'un auteur qui a sans doute mal vécu son année de stage, ses visites de classes et autres inspections. ● Enfin, bien évidemment, on retrouve dans ce récit la légende de Faust, et plus encore une de ses sources d'inspiration, la pièce de Rutebeuf (XIIIe siècle) qui s'intitule elle aussi le Miracle de Théophile et qui raconte comment un prêtre, Théophile, vend son âme au diable. ● Il s'agit là d'un premier tome et pour ma part j'ai vraiment hâte de lire le deuxième. Je conseille sans réserve ce roman magnifique et percutant.
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