AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Alfaric


Ce nouveau tome de la série « Ils ont fait l'Histoire », collection de bandes dessinées qui prend la forme de biographies historiques présentant une dimension pédagogique car à destination du grand public, et qui espèrent vraiment que le public scolaire se prêtera au jeu, est consacré à celui dont Churchill disait qu'il était la France : Georges Clémenceau.


Les games of thrones républicains sont définitivement plus intéressants que les games of thrones monarchiques : plus d'acteurs, plus de diversité, plus de possibilités donc plus de suspens ! Je partais avec des a priori négatifs sur le personnage bien qu'il soit une mine à citations cool et fun, du coup j'ai vraiment appris beaucoup de choses avec cette biographie en bande dessinée… A l'image des albums consacrés à Jaurès et Robespierre, difficile de s'extraire de l'imagerie républicaine : on se retrouve encore une fois avec un tome riche en phylactères qui font la part belle aux discours d'un tribun politique en bonnes et dues formes !

On suit la jeunesse du personnage, son opposition au Second Empire, son engagement dans la Commune, sa lutte contre les Républicains opportunistes avec sa haine contre Adolf Hitler / Adolphe Thiers et le colonialiste Jules Ferry, sa carrière de tribun tombeur de gouvernements, puis après sa déchéance après le Scandale de Panama sa carrière de journaliste tombeur de crevards, son réengagement en politique avec l'Affaire Dreyfus (le titre « J'accuse… ! » est de lui ^^)… En 1906, c'est à l'âge de 64 ans qu'il a enfin l'occasion de mettre en application ses convictions et de rendre hommage à tous ses compagnons disparus, mais davantage réformiste que révolutionnaire il doit affronter la catastrophe de Courrières, la révolte du Languedoc, ainsi que le terrorisme anarchiste… Et durant la WWI il critique férocement l'action du gouvernement avant de devenir Président du Conseil et le Père la Victoire ! Au final la dernière case nous montre que le principal responsable de la WWII c'est moins l'Allemagne que les Etats-Unis d'Amérique… (Pour ceux que cela intéressaient, je suis bien armé pour argumenter !)

Au final on suit presque une dynastie républicaine qui n'a jamais oublié les idées des Montagnards et l'exemple de Robespierre, dont l'héritage fut réactivé chez Georges Clémenceau par le sort inique que le Second Empire réserva à son père (impossible de ne pas penser à l'engagement de Jules César dans le camp populares après le sort inique que le camp optimates avait réservé à son père) puis par le sort inique qu'Adolf Hitler, euh pardon Adolphe Thiers réserva à ses amis de la Commune (Auguste Blanqui, Louise Michel …). On retrouve donc dans l'opposition entre républicains opportunistes et républicaines radicaux l'opposition entre Girondins et Montagnard, avant que les uns se fassent déborder sur leur droite par les forces fascistes et les autres se fassent déborder sur leur gauche par les forces socialistes… Les temps ont changé et les techniques, l'économique, la société ont évolué mais par forcément les mentalités : malgré ses convictions et ses engagements Georges Clémenceau reste d'abord et avant tout un notable, et même s'il appartient au camp des modernes il fait un peu figure de dinosaure à l'ère des masses !

Le personnage est entier : sa passion pour les arts et son amitié pour Claude Monet sont bien connues, mais pas forcément sa passion pour les sports et à quel point il mit à contribution son corps. Il fut également un passionné d'orientalisme et d'exotisme en pleine époque coloniale, et un anglophone et un anglophile en plein époque nationaliste (au point d'épouser l'une de ses étudiantes américaines lors de son passage à Stamford), et un homme des deux mondes à une époque partagée entre Amérique isolationniste et Europe suprématistes.
Tout cela aurait pu être développé si le récit s'était étalé sur deux tomes et dans ce cas on aurait pu approfondir toutes les ambiguïtés du personnage (à moins qu'il n'ait tout simplement et comme tant d'autres mal vieilli ?) :
- son opposition en tant que médecin républicain au médecin bonapartiste Louis Pasteur
- son opposition en tant que républicain athée à Aristide Briand qualifié de socialiste papalin bien qu'il soit le père de notre laïcité actuelle
- ses relations conflictuelles mais respectueuses avec Jean Jaurès
- un progressiste qui crée le Ministère du Travail et qui fait passer la journée salariée de 12 heures à 8 heures, mais qui se montre plus intransigeant avec les mineurs de Courrières et les vignerons du Languedoc qu'avec les banksters et les patrons voyous…
- un défenseur des libertés qui profita des lois d'exceptions pour régler pas mal de comptes avec ses vieux adversaires
- un arpenteur des tranchées qui fit fusiller les quidams moyens au bout du rouleau physiquement et psychologiquement, mais qui s'est contenté d'envoyer en sinécure à Limoges les généraux et les officiers arrogants et incompétents qui ont envoyé des millions de gens à la mort…
- et au bout de 800 liaisons extraconjugales un macho qui envoie sa femme adultère en prison avant de la renvoyer en la privant de ses enfants (ah le fameux sexisme des élites françaises qui m'a toujours donné la gerbe et qui sévit encore de nos jours : comment des élites qui se gargarisent de leur prétendue supériorité peuvent-elles avoir culturellement plusieurs siècles de retard sur les peuple qu'elles méprisent ??? excusez-moi, la réponse est évidemment dans la question : les élites c'est d'abord et avant tout des crevards suprématistes qui se donne des airs en toisant et en écrasant les autres…)


Bref une bonne histoire de Renaud Dély, plus porté sur les plateaux télé de C dans l'air qu'à la scénarisation de bandes dessinées (en voilà un qui remonte grandement dans mon estime !), les dessins de Stefano Carloni, qui travaille avec le storyboarder Chris Regnault et les coloristes Gabriela S. Hamilton et du studio Arancia, sont très satisfaisants. Pour ne rien gâcher les explications du spécialiste Jean Garrigues et le making off du reste de l'équipe sont très intéressants… C'est dommage de n'avoir pas consacré 2 tomes à ce personnages, d'autant que sa carrière est clairement divisé en deux parties !
Tout cela m'a grandement mis en appétit, et maintenant il me reste à choisir entre la biographie de Jean-Baptiste Duroselle et celle de Michel Winock, encore que les travaux de Jean-Jacques Becker, Jean Garrigues et Jean-Noël Jeanneney me fassent désormais aussi de l’œil…
Commenter  J’apprécie          507



Ont apprécié cette critique (42)voir plus




{* *}