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Critique de Charybde2


Une quête scientifique greffée sur le curieux personnage d'un soldat, en pleine Commune de Paris...

Publié en 2012, le troisième roman de Jean-Philippe Depotte après le Paris de la Belle Époque et celui des débuts De La Renaissance, s'attaque à celui de la Commune, en 1870-71.

Sur une trame d'apparence simple, qui voit le soldat de ligne Lucien Bel, en proie à tous les doutes, en compagnie de ses deux compères, le discipliné (et futur Versaillais) Henri, provincial comme Lucien, et le tendre géant parisien (et futur Communard) Martial, rejoindre la capitale après la débâcle subie en Alsace face aux Prussiens, et être incorporés au régiment en charge de reprendre aux Parisiens les fameux "canons de Montmartre", événement qui sera le déclencheur de l'insurrection.

Dans un cadre qui évoque énormément le délirant film de six heures de Peter Watkins ("La Commune, 1871"), la sympathie envers les Communards en moins, Delpotte nous montrera en effet les enthousiasmes naïfs, les errances et les palinodies de ce "peuple" qui ne sait trop que faire de son soulèvement...

Mais le propos est loin de se limiter à un documentaire, visée pour laquelle d'autres ouvrages lui seraient bien supérieurs : Delpotte utilise aussi ce décor où "tout est possible", pendant quelques mois, pour confronter son héros à un savant, médecin et esthète, dérivé du personnage (réel) du Dr. Jean-Baptiste Delestre, spécialiste en neurologie et en étude de la forme des crânes, incarnation absolue de la "volonté de savoir" qui hante l'époque, en pleine naissance du positivisme et du scientisme, mais aussi matrice des futurs "savants fous" de la littérature...

Trépané par les soins du bon docteur, suite à un curieux "accident", Lucien Bel, rivé au carnet hérité d'un officier en d'étranges circonstances, "L'art de tuer" qu'il a à coeur de compléter, entame un étrange cycle d'états de conscience effrénés, dans ce Paris aux abois, entrecoupés de longues périodes de sommeil, chaque boucle de cette curieuse symphonie, rythmée par son réveil en musique au milieu des fous de l'hôpital de la Pitié, le rapprochant d'une vérité... presque indicible.

Un tour de force, gâché tout de même en partie par le renvoi de ce peuple parisien en effervescence, si joliment saisi par l'art d'un Peter Watkins, pour ne citer que lui, au statut d'une toile de fond plutôt grossière, pour laquelle on ne saurait éprouver d'empathie...

Un roman qui donne en tout cas clairement envie de faire un bout de chemin en compagnie de l'auteur...

"Alors, se moqua Lucien au cadavre du major, t'avais donc pas remarqué que je tirais toujours par-dessus les têtes des Prusscos ? Un bon mètre, deux bons mètres. le chassepot, c'est précis. La meilleure façon de tuer personne, c'est de viser les nuages. J'ai toujours fait ça, tu sais. J'ai toujours fait ça..."
Mais pas aujourd'hui.
Il tourna une page du carnet dans la dernière lumière du jour. le major n'avait écrit qu'un unique paragraphe :
"Règle n°1 : au feu, deux choses importent, l'intensité de l'injonction à tuer et la légitimité de l'autorité qui l'énonce. Ces deux nécessités trouvant relais dans la proximité et le respect de celui qui incarne ladite autorité."
Quelle belle écriture. Lucien compara tous les e et s'émerveilla de la régularité sans faille des pleins et des déliés, des courbes et des boucles. Autant de e cachés dans les fourrés des autres lettres comme des petits soldats embusqués, tous pareils, tous aussi beaux dans leurs uniformes calligraphiés."
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