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Critique de Pasoa


« Femmes et hommes, fusionnels et fécondants, pourtant à jamais immiscibles ! »
écrit Régine Detambel en accroche de son recueil Émulsions publié en 2002 chez Champ Vallon.

Dans une suite de poèmes au style dépouillé et déconcertant, l'auteure y décrit par le seul pouvoir des mots les moments qui unissent un couple (jamais nommé), les rend plus vivants l'un pour l'autre : le son de la voix, l'expression du regard, la manière de tenir un objet,… Tous ces sentiments qui rapprochent de l'autre mais qui ne sont que la surface, sa part visible.
Régine Detambel franchit les apparences et dévoile dans des termes souvent crus la fusion de deux êtres portée jusqu'à la limite des corps et à leur fonction charnelle, sexuelle, organique, anatomique et sécrétrice...


« Il y a de l'eau dans le corps d'un amant
et, parfois, quelque chose de sirupeux
qui lui sort par les joues et vient lui teindre jusqu'aux yeux

Du rouge au front
La honte est teinturière

Couleur de cerise, fleur de pêcher, ponceau,
Cramoisi, coquelicot, incarnat, vermillon,
Je te teins, tu me teins, je te teins à coups de pioche
je prends le sable rouge de tes mines d'argent.

Du rouge au front
La honte est teinturière

C'est de m'entendre nue qui te colore
à coups de pioche
je te teins je mets à vif ton sable

Du rouge au front
La honte est teinturière » *


Cette fusion des corps décrite par Régine Détambel se défait de toute pudeur, de toute retenue. Dans un dialogue à deux (chaque poème est tour à tour la voix de l'un des deux amants), le corps se dévoile et se livre à l'emprise des mots et des images, suggérant la vie d'un couple en pleine passion amoureuse.

Mais vient le temps où les corps se font résistance, distance, séparation. Les pensées mauvaises, les insultes, l'autre n'est plus qu'un corps étranger, un corps aux inflexions et aux mouvements étranges, comme s'il était rentré en lui-même.

« […]
Petit homme petite poupée ma vipère comestible
je bois la trace lente fourmillante de ta morve
tu es ma bouillie et ma bruyère
laisse-moi boire je bois ton charme et ta parole chantée
et ta nature de bête
mon poison à langue de miel
tu ne veux pas que je te voie
tu te retournes tu te mouches tu ne veux pas que je te parle
tu préfères marcher devant moi » **


C'est par hasard que j'ai découvert ce recueil de poésie de Régine Détambel. La curiosité a rapidement fait place à un sentiment d'étonnement voire de doute. le corps érotisé et organique décrit de manière très explicite ou suggestive dans la première partie du recueil peut… désorienter.
Dans la seconde moitié du livre, le lien entre le corps désiré/désirant de la première partie et le corps restitué à lui-même de la seconde s'opère. Il offre une écriture plus recentrée, plus libre.
Dans ces portraits croisés de deux amants qui dessinent comme une histoire, dans un style âpre mais aussi pudique, la poésie de Régine Détambel se révèle avec beaucoup de justesse, de lucidité. C'est ce qui fait d'Émulsions, un recueil au charme étrange et très particulier.



(*) « Teinturière » – pp. 47-48
(**) extrait de « Bruyère » - p.59
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