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Critique de JustAWord


Poursuivant sa « Tragédie Humaine » , Thierry di Rollo revient chez le Bélial' en 2005 avec Meddik. Il n'est cette fois plus question d'énergie comme dans La Profondeur des Tombes ou Number Nine mais de religion et de foi. Plus proche du symbolisme de la Lumière des Morts et de l'univers d'Archeur, Meddik renoue avec le nihilisme total de Thierry di Rollo pour une histoire dense et étouffante qui emmène le lecteur jusque sur la planète Mars, loin des vautours qui hante le ciel de Grande-Ville…

Le futur n'est pas ce qu'il aurait du être. Encore.
Dans Grande-Ville, les riches vivent dans des gratte-ciels qu'ils possèdent tout entier pour les plus puissants d'entre eux. Ces « élus » se désignent eux-mêmes par le terme de Justes, fervents croyants en un Dieu unique qui semble pourtant terriblement absent du ciel de la sinistre mégalopole.
Dans les cieux, ce sont d'immenses vautours qui rodent, comme autant d'anges vengeurs s'abattant sur les hommes-insectes en contrebas.
Au sol, la guérilla fait rage aux portes de la zone franche, quelque part à la frontière entre riches et pauvres. Les guérilleros meurent sous la torture des Justes ou entre les serres de vautours affamés.
John Stolker, lui, est un Juste, l'héritier de l'empire Gormac. Régulièrement il se rend par hélicoptère au DomAir, une immense structure flottante à 2.000 mètres d'altitude où il retrouve Roman et Susie pour des cours de théologie données par Nancy Kirby, la préceptrice. Une étrange personne que cette Nancy qui s'arrête régulièrement en plein milieu d'une phrase pour débiter des slogans publicitaires transmis par une société quelconque.
Dieu n'existe qu'entre deux réclames et John Stolker pousse même l'hérésie jusqu'à penser que Dieu n'existe pas du tout.
Entre l'utilisation de drogues dures comme la K. Beckin (du nom d'une actrice jadis à la mode) et un sexe à plusieurs désincarné et primal, John cherche quelque chose de plus à cet univers dément où l'ordure règne à chaque coin de rue. Ce n'est pas la terraformation de Mars et l'envoi par-delà les étoiles d'une partie des habitants du Monde-Berceau qui va changer quoique ce soit à la haine qui habite le jeune héritier Gormac dont le père n'est qu'un géniteur froid et calculateur, et la nourrice une occasion de baiser quand l'envie lui prend. Voilà pourtant qu'un jour, alors qu'il rencontre « le Cheval » (sorte d'héroïne ultra-concentrée) pour la première fois, John se met à voir Dieu qui lui révèle la terrible vérité : le mensonge n'est qu'une forme de vérité, et si nos pères sont nos images de Dieu, alors c'est la Mort qui l'emporte sur tout. John Stolker se met alors à tuer, torturer, pourchasser. Il dépasse le mur qui délimite la zone franche pour devenir un guérilleros à l'ombre des vautours et sous la menace des Entiers.

Meddik est l'un des romans les plus singuliers de Thierry di Rollo.
On y retrouve intact et toujours plus suffocante sa noirceur et son nihilisme mais cette fois, le français fait acte de foi. Une foi à la Thierry di Rollo où mensonge et vérité se confondent, où Dieu n'existe que pour être le juste châtiment d'un être humain écoeurant et où l'animal-totem s'incarne en un éléphant gigantesque qui brouille la frontière entre réel et cauchemar.
Dans le monde imaginé par Meddik, la séparation des classes est écrasante, la guérilla admise et circonscrite, la drogue un dernier échappatoire au réel, une nouvelle forme de foi pervertie.
Le sexe se réduit à l'envie primale et l'amour n'a plus sa place ou presque. C'est en creux que le verbe aimer se conjugue chez Thierry di Rollo.
C'est son absence ou sa fin cruelle qui lui donne son importance cruciale.
Ce qui manque à John Stolker ? Une mère qu'il n'a jamais connu, une mère dont la tendresse ne s'est jamais abattu sur le visage de son fils. Et lorsqu'il retrouve une forme d'amour au milieu du Néant, avec une femme et deux enfants, c'est pour mieux les perdre dans le sang et la folie d'un monde drogué jusqu'aux yeux.
Stolker remplace l'amour et la tendresse par la mort et la violence, il tue, encore et encore, comme un acte mécanique, naturel, indispensable. Comme un acte de foi et de dévotion.
Personne ne sera sauvé, ni Eleanor ni John, et encore moins le monde des hommes. Pour John, c'est l'hallucination d'un Père qui pourrait être la Mort elle-même, comme Pennbaker subissait le fantôme d'une Mère grimée en faucheuse. Où se finit le réel et où commence l'au-delà ?

Le futur de Thierry di Rollo est donc d'un nihilisme assumé.
En 2005 déjà, le français pointe le problème des déchets générés par l'humanité et montre à quel point les riches s'en foutent. En les propulsant au fond des océans devenus une bouillie noire et toxique, espérant simplement les voir remonter un jour où, on l'espère, on pourra les traiter.
Mettez la poussière sous le tapis, on verra bien ce qu'il en sortira un jour.
C'est aussi une obsession du temps et de la jeunesse avec des riches qui ne vieillissent pas grâce à des traitements préventifs aux protéines de synthèse ou par des lissages périodiques de la peau. La conquête de l'espace, elle, est devenue une obligation pour gérer la surpopulation. Mars, qui n'est plus rouge depuis longtemps, pourrait devenir une nouvelle chance si les hommes d'hier ne venaient pas lui rappeler ses sombres origines. Il reste pourtant de la poésie au détour de quelques dessins dans une grotte cachée aux yeux du monde ou d'un journal intime qui dit peu et beaucoup à la fois. La guérilla semble futile, vouée à l'échec, la révolte finit dans la douleur comme chez Volodine.
Dans l'univers de Thierry di Rollo, il n'y a pas de rédemption ou de seconde chance, juste un rire carnassier et un Dieu trompeur qui n'existe que pour faire durer le mensonge incarné par l'humanité, un mensonge dans lequel des pauvres cherchent leur pitance sur un tas d'ordures avant d'être aspirés comme des nuisibles dans le ventre d'un fossoyeur aux ailes d'acier qui les recrache au milieu d'un océan qui meure.
Un mensonge. Une vérité. Une illusion. Personne ne sera sauvé. Personne.

Plus sombre, plus tortueux, plus universel, Meddik n'est pas un roman facile ni agréable, c'est une plongée en apnée dans une société déjà morte, bouffée par son égoïsme et sa violence absurde. Thierry di Rollo s'interroge sur l'acte de croire et le rôle de Dieu, dresse en toile de fond un univers aussi fascinant que terrifiant et parle de l'Amour quand il n'est pas là. Passionnant, encore, pour qui s'en donne la peine et n'a pas peur du noir.
Lien : https://justaword.fr/meddik-..
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