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Critique de AGNESNicole


Il est des livres qui brusquement nous éclairent : on ne se doutait pas, avant leur surgissement, à quel point nous étions démunis et ignorants de tout un pan de ce qui requiert cependant toute notre attention. Poésie syrienne contemporaine, anthologie bilingue élaborée par le poète Saleh Diab et proposée au Castor Astral, est de ceux-là. Grâce à lui, nous voilà tout d'un coup plus riches.

Il y a certes un apparent paradoxe à s'interroger aujourd'hui sur les poètes d'un pays en train de disparaître en tant que pays. A l'instar d'André Frénaud, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la question alors posée : Où est mon pays ? - et la réponse : C'est dans le poème… pourraient l'une et l'autre être légitimement reprises. Dans le même esprit, la présentation de Salah Diab s'ouvre par une question à la fois plus simple et plus désarmante : Qu'est-ce qu'un poète syrien ?, tant la notion de Syrie est devenue difficile à cerner : l'identité syrienne fabriquée par les Français ne s'est jamais inscrite dans l'imaginaire de la population de la Syrie des années 1947 - 2012, et la tragédie que chaque jour vit actuellement ce pays rend son identité encore plus incertaine.
Dès lors, où est la poésie d'un pays que la plupart des poètes ont fui, dispersés qu'ils sont hors des frontières ? On ne la reconnaîtra pas à la langue puisque ces poètes écrivent en langue arabe, commune à bien d'autres, étant entendu que la poésie écrite dans les langues kurdes et arméniennes (pas assez moderne ? pas assez syrienne ?), aussi bien dans le dialecte syrien, n'entre pas dans le cadre de cette anthologie-là où en définitive seront pris en considération les poètes nés d'un père et d'une mère nés ou ayant vécu sur le territoire de la Syrie de l'Indépendance (1947 – 2012) et d'expression arabe.
Ce qu'illustre à l'évidence la succession de pièces poétiques présentées dans un ordre chronologique bien venu, de Khayr Ad-din Al-'Asadi à Saleh Diab lui-même (ce qui malgré tout pose question, comme à chaque fois qu'un anthologiste inclut son oeuvre propre dans l'anthologie qu'il propose. Et pourquoi à cette dernière place : par modestie ou comme ultime étape de l'évolution racontée ?), c'est la lente libération du modèle classique et de ses contraintes, et l'évolution d'un art vers sa modernité, ce, à travers deux étapes, celle de l'apparition de la poésie libre, puis celle du poème en prose, termes qui recouvrent des notions différentes en français et en arabe, à bon escient nous avertit l'auteur.
Et il est vrai que le lecteur français retrouve en fin de volume, chez les auteurs les plus jeunes, des poèmes qui par la forme et l'inspiration se rapprochent de ce qui lui est donné à lire d'ordinaire, qui témoigne du monde tel que chacun le perçoit au quotidien. Ainsi des poèmes de Luqman Dayraki, de Riyad As-Salih Husayn (qui a le tort, par rapport aux contraintes de cette chronique, d'écrire de longs poèmes, mais le titre de ses recueils témoignent à lui seul du poète qu'il est : Effondrement de la circulation sanguine, ou Simple comme l'eau, clair comme une balle de revolver), de Nûri al Al-Jarrâh :

Dans un train

La sirène s'est déclenchée
annonce la fin des jours et des nuits
puis le contrôleur est apparu au bout de l'allée
avec ses bottes et son fusil
il a parcouru tous les compartiments
puis on a entendu le fracas des balles
les curieux
qui nous ont devancés ont vu du sang
qui coulait
sous les portes
et brillait
dans la lumière pâle
(Londres – automne 1987)

et finalement Saleh Diab :

Broderie

Nous avons un pays
nous y avons laissé nos amis
se recueillir autour des chagrins
songer à la neige
pour blanchir les hauteurs de leur solitude
que faire
sous un ciel étranger
à part écouter l'oubli
broder nos années
comme la dentelle
pâtir de nos regrets
à l'air libre
tarir
en lisant des livres
Lien : http://www.dechargelarevue.c..
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