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Critique de Junie


Pourquoi diantre un auteur anglais se mêle-t-il de faire un roman sur NOTRE Révolution, ce moment fondateur du Nouveau Régime qui doit abolir les privilèges et les injustices de l'Ancien Monde?
Ce britannique, véritable scélérat, choisit en outre de situer l'action aux moments les plus noirs de la Terreur. Leurs Majestés viennent de perdre la tête, et c'est précisément à ce moment que d'innocents et naïfs jeunes gens viennent se précipiter dans la gueule du loup. le héros s'appelle Charles, pure coïncidence sans doute. Il a la fâcheuse habitude de se retrouver accusé de haute trahison, d'abord à Londres, puis à Paris, et d'être jeté en prison.
La prison, lieu d'infamie et de désespoir, que Dickens a bien connu dans son enfance. On y envoie sans distinction les criminels, les vagabonds, les prostituées, les petits délinquants de 10 ans, les ivrognes tapageurs, les escrocs, les marginaux, parfois des familles entières, comme c'est le cas des Dickens qui n'ont pas pu rembourser leurs dettes. La Justice est expéditive, les accusés n'ont guère d'espoir dans l'indulgence des juges de Sa Majesté.
Pour les criminels, la pendaison ou le bagne. Pour les autres des geôles malsaines. le XIXè siècle condamne la pauvreté comme un vice.
Une injustice que Dickens dénoncera toute sa vie.

Mais ici il est question d'une autre forme d'injustice. La Révolution a chassé le Roi, les nobles et les prêtres. Elle a supprimé tout ce qui rappellerait la monarchie et donné le pouvoir au Tiers-Etat. Elle a institué de nouvelles règles, propres aux régimes révolutionnaires: tout ennemi de la Révolution doit mourir. L'arbitraire de l'Ancien Régime devient celui du Tribunal révolutionnaire. A lui seul, Fouquier-Tinville fit exécuter 2600 hommes et femmes, souvent dénoncés par leurs voisins comme étant de mauvais patriotes. Une dictature en remplace une autre, et à leur tout les guillotineurs seront victimes de leurs ennemis qui les déclarent traitres à la Patrie.
A plusieurs reprises, Dickens démonte le mécanisme qui aboutit à cette nouvelle tyrannie. Il ne suffit pas de chasser les aristocrates, de piller et d'incendier les châteaux, il faut aussi venger tous ceux qui sont morts de misère, d'épuisement et de mauvais traitements, privés de droits et de dignité. Et cette vengeance réclame un bain de sang.
"Devant ce tribunal inique, il n'y avait pour ainsi dire aucune forme de procédure qui garantit à un accusé de se faire raisonnablement entendre. Il n'aurait pu y avoir de révolution comme celle-là si les lois et les formes de la Justice n'avaient été précédemment l'objet d'abus si monstrueux que, dans sa vengeance qui rejoignait le suicide, elle les éparpillait à tous les vents."

Dans certains dialogues entre révolutionnaires, dans le discours du procureur, on reconnait les arguments qui seront utilisés plus tard par Staline, Mao ou Castro. "Citoyen, calme-toi; manquer de soumission à l'égard du Tribunal serait te mettre hors-la-loi." "Si la République exigeait le sacrifice de ta fille elle-même, ton devoir serait de la sacrifier."

Dickens souligne aussi la versatilité de la foule qui assiste aux audiences du Tribunal. Emportée par ses émotions, manipulée ou simplement par le fait du hasard, elle va d'abord acquitter l'accusé qui est libéré triomphalement. Mais le surlendemain, on revient l'arrêter et à la deuxième audience, on l'envoie à l'échafaud sous les huées de l'assistance.
Au lieu de rédiger un essai sur la démocratie et les libertés, le romancier utilise la méthode romanesque et nous fait partager les angoisses et les états d'âme de ses personnages, les péripéties de l'intrigue, pour nous montrer l'horreur d'un régime totalitaire, dominé par l'arbitraire et une idéologie pervertie. "Une des plus folles aspirations de cette populace était d'imiter les vertus contestables de l'Antiquité et de sacrifier sur l'autel de la patrie ce qu'on avait de plus cher au monde." Il nous décrit en détail le défilé de chariots qui conduit les condamnés vers leur supplice, sous les regards indifférents ou les cris hostiles du peuple.
On ne peut rester insensible au sort du malheureux Charles, et le dernier chapitre a l'intensité d'un thriller: l'action se condense sur quelques heures et plusieurs personnages auront un sort tragique.
Le dénouement parle pourtant d'espoir en des jours meilleurs, et d'un avenir moins sombre. Car le bonheur est réservé à ceux qui sauront surmonter les épreuves et garderont foi en la générosité de l'homme.
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