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Critique de audelagandre


« La cité des nuages et des oiseaux » fait partie de ces romans impossibles à genrer et c'est tant mieux, pas de case précise dans laquelle le placer revient à ouvrir le champ de tous les possibles. Roman contemporain, historique, post-apocalyptique, de science-fiction, récit de voyage, « La cité des nuages et des oiseaux » condense une multitude de « genres » littéraires en un seul livre. Roman choral, il traverse les époques et les lieux, de Constantinople en 1439, à l'Argos en année de mission 65 en passant par Lakeport, tous à différentes époques. Anthony Doerr remonte le passé, le passé dans le passé, et le futur en s'appuyant habilement sur la densité de ses personnages pour ne jamais perdre son lecteur. le roman s'ouvre sur Konstance, 14 ans, vivant dans un vaisseau spatial appelé l'Argos et géré par Sybil, une intelligence artificielle, capable de répondre à toutes les questions sur « l'ancien monde », le nôtre. « L'Argos est un vaisseau interstellaire en forme de disque. À l'intérieur, il n'y a ni fenêtres ni escaliers, ni rampes ni ascenseurs. Quatre-vingt-six personnes y vivent. Soixante sont nées à bord. Parmi les autres, vingt-trois sont assez âgées pour se souvenir de la Terre, et le père de Konstance en fait partie. » Puis, saut dans le temps, nous voilà à Constantinople où nous rencontrons Anna et sa soeur Maria, toutes deux brodeuses. À 300 kilomètres de là, Omeir, celui qui a une longue vie, est contraint de s'exiler avec sa famille, car il est né avec un bec de lièvre, signe de malheur. Puis, à nouveau, le lecteur est catapulté dans un autre lieu, Lakeport, où un professeur, Zeno, monte une pièce de théâtre avec ses élèves. Là, il va rencontrer Seymour, un garçon en colère contre les décisions des hommes et la mort d'une amie très chère. Ne pensez pas que « La cité des nuages et des oiseaux » soit une succession de tranches de vie apposées là, sans buts ni projets et qu'il n'y aucun lien entre ces personnages et leurs époques. Un texte, tiré d'un codex, les rassemble. Vingt-quatre feuillets, parfois tout juste lisibles qui racontent l'histoire d'un berger en quête d'une mystérieuse cité, « La cité des nuages et des oiseaux ».

Ce codex traverse les âges et les lieux. Il sera trouvé, perdu, retrouvé, égaré à nouveau. Ses pouvoirs sont énormes et transforment les existences de ceux qui l'ont entre leurs mains. La littérature est-elle capable de changer la destinée des hommes ? Un simple texte peut-il bouleverser les existences, les métamorphoser, offrir un moment hors du temps ? « Un reposoir, dit-il enfin. Tu connais ce mot ? Un lieu de repos. Un texte — un livre — est un lieu de repos pour les souvenirs de ceux qui ont vécu avant nous. Un moyen de préserver la mémoire après que l'âme a poursuivi son voyage. » Alors que les vies humaines se succèdent sur la Terre, les écrits, eux, ne s'éteignent jamais complètement, même s'ils sont aussi très souvent menacés. « Mais les livres meurent, de la même manière que les humains. Ils succombent aux incendies ou aux inondations, à la morsure des vers ou aux caprices des tyrans. Si personne ne se soucie de les conserver, ils disparaissent de ce monde. Et quand un livre disparaît, la mémoire connaît une seconde mort. » « La cité des nuages et des oiseaux » est une déclaration d'amour à la littérature, et Anthony Doerr excelle à transmettre ce message : « Mon enfant, chacun de ces livres est un portail, une ouverture qui te donne accès à un autre lieu, à une autre époque. Tu as toute la vie devant toi, et ils ne te feront jamais défaut. Cela devrait suffire, tu ne crois pas ? »

D'abord assez décontenancée par la forme, notamment par le nombre de personnages, et d'époques qui se succèdent dans des chapitres relativement courts, j'ai eu un peu de mal à m'attacher à l'histoire de ses âmes. J'ai également eu des difficultés à comprendre où l'auteur voulait m'emmener, le récit étant entrecoupé de ces extraits de quelque chose qui ressemble à un conte. « Étranger, qui que tu sois, ouvre ceci et tu apprendras des choses stupéfiantes. » J'ai continué, persévéré et j'ai bien fait. Parfois, la substantifique moelle apparaît plus tardivement, et il faut se laisser le temps d'aller la débusquer en gardant son esprit ouvert et concentré. J'ai savouré les points communs de ces personnages : ils sont tous jeunes, ont tout perdu un parent, ils ont tous des liens, proches ou éloignés, avec une bibliothèque, voire une bibliothécaire, ils découvrent tous, mais de manière différente le pouvoir des mots et de la littérature. Il est fascinant de constater à quel point, comme pour Anna, « D'un jour à l'autre ou presque, les rues s'illuminent de significations.» Ce que chacun en retire diffère, mais il est offert à tous le pouvoir d'être emporté, et de rêver. Si l'on se demande encore quelle est l'importance de la littérature et pourquoi certains lisent autant de livres, il y a de grandes chances pour que certaines réponses vous soient données dans ce roman.

« La cité des nuages et des oiseaux » est une oeuvre ambitieuse et relativement inclassable, ce qui la rend intemporelle, comme ce que Anthony Doerr y défend. On pourrait presque parler d'immortalité, de ces mots qui traversent les temps, tombent dans plusieurs mains, font leurs chemins dans différents esprits, nourrissent et émerveillent les Hommes. Il est de notre devoir collectif de la protéger, d'en devenir les gardiens afin que d'autres, après nous, puissent la savourer. Roman protéiforme, résolument optimiste et lumineux, « La cité des nuages et des oiseaux » ne fustige pas l'humanité (et pourtant ce ne sont pas les sujets qui manquent) même lorsqu' Anthony Doerr aborde la thématique de l'écologie où beaucoup reste à accomplir. Ses espérances en l'être humain et en ses capacités sont infinies. « (…) il comprend que la vérité est infiniment plus complexe, qu'il y a de la beauté en chacun de nous, même si nous faisons partie du problème, et que faire partie du problème va de pair avec notre condition d'humains. »

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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