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Critique de Sarindar


Par son récit autobiographique, intitulé : La première fois, Julie Dollé nous invite à la reflexion, car cet écrit tout personnel a finalement une portée universelle.

Comment définir exactement La première fois ? Si on peut le classer, comme le sous-titre l'indique, parmi les ouvrages autobiographiques, il n'est pas que cela. Ce n'est pas qu'à la connaître comme elle est, comme elle aime et comme elle pense, mais c'est aussi - et tout autant - à une analyse de situation - celles des premières fois en plusieurs domaines qui la concernent et qui nous concernent tous ou qui concernent beaucoup d'entre nous - que nous convie Julie Dollé. Non pas que nous soyons tous, comme elle, des enseignants. Mais bien parce qu'elle évoque des moments et des aspects de la vie, ainsi que plusieurs de ses attraits ou de ses désagréments, auxquels nous sommes tous, peu ou prou, sensibles.
Précoce ou surdouée (ce dernier terme lui convenant moins que le premier), elle nous livre tel quel le fruit de ses premières expériences avec, chaque fois, un sérieux retour sur soi. Cette jeune femme est "pleine" d'elle-même, mais dans le bon sens du terme, si remplie de son histoire, qu'à la lire on est ému, tant cela fait écho à ce que nous sommes et pensons tous, un jour ou l'autre.

Les mots : La première fois, ne sont pas plaqués là artificiellement. Et convenons que tout ce que Julie Dollé décrit de ses impressions rejaillit en nous, et trouve en nous plus qu'une résonance. Et cela, dès le début. "C'est long une quinzaine de secondes dans le silence le plus complet. Essayez, vous verrez". Si l'on n'est pas un moine contemplatif, on ne peut qu'aquiescer. Et ce d'autant que ce silence a un rapport avec la musique, langage universel de tous les amoureux de l'art, comme peut l'être aussi la peinture. C'est un ami de Julie, Ronan, qui lui ouvre les portes de cet univers enchanté et enchanteur, en même temps qu'il lui fait découvrir, dans la proximité la plus grande avec le génie musical comme s'il vous devenait tout soudain familier, le son du piano en jouant un nocturne de Chopin. "La musique souvent me prend comme une mer", disait Baudelaire que cite Julie. Puis, enfin seule, la jeune fille s'imprègne de la musique symphonique de Beethoven au travers de l'interprétation et de la direction du charismatique Herbert von Karajan dont elle imite bientôt les gestes en secret. Qui ne l'a fait, un peu, dans son adolescence ? J'avoue personnellement m'être pris à rêver, dans les années 1970-1980, me trouver conduire une belle phalange philharmonique dans l'exécution des grandes œuvres orchestrales. Certes, Julie est plus jeune que je ne le suis, mais cette fantaisie et cette envie doivent bien être communes à plusieurs personnes. Je comprends, en tout cas, cet amour passionnel de la musique, et ce d'autant plus que je le partage.
Flûte à bec, clarinette, piano, prix d'excellence, achat d'un instrument, stage à Aix-en-Provence, concerts entendus, définition de son propre Panthéon musical, tout s'enchaîne, même si parfois la vie et ses aléas ou ses obligations vous éloignent un moment de cette compagne, de cette amie essentielle qu'est pour beaucoup la musique.

Et puis il y a la lecture, le fait de prendre un livre dans ses mains, et puis un deuxième, et un troisième, et d'autres, des livres faits pour son âge, et de se saisir un jour d'un ouvrage plus sérieux, d'aller le quérir dans la bibliothèque de ses parents, de le lire et de n'y comprendre goutte au début, mais de s'accrocher, puis d'en percer le sens tout en appréciant l'esthétique des mots alignés, comme si ils rendaient eux aussi, par leur sonorité, une douce musicalité. Les livres et leurs auteurs, ces magiciens, nous aident eux aussi à vivre et nous pénétrons dans leur intimité comme s'ils étaient présents physiquement. Julie prend des notes, tient des fiches (quel lecteur consciencieux n'a pas fait cela ?), et très scrupuleuse, elle trouve dans le dictionnaire son meilleur guide pour connaître la définition et le bon emploi d'un vocable. Elle trouve là des outils bien utiles : elle a fait les premiers pas qui conduiront la lectrice qu'elle est à devenir un jour à son tour une auteure. Dans l'intervalle, s'impose bien sûr le questionnement philosophique, dans le cadre des études mais pas seulement, car il est aussi et avant tout au cœur de la réflexion personnelle, et devient une arme, un atout, aussi bien sur le plan intellectuel que dans le domaine du concret. Joint à une haute conscience morale, à une recherche du sens à donner aux choses et à l'existence, si elles peuvent en avoir un, ce questionnement peut même finir par jouer des tours aux individus, comme ce fut le cas pour Julie quand elle eut certains choix à faire, des choix où elle ne voulut pas transiger avec certains principes, ce qui est tout à son honneur, d'autant qu'elle a tout un argumentaire très riche sur ce que l'humain peut se permettre et sur ce qu'il ne doit pas faire s'il veut se survivre collectivement, comme espèce, dans un environnement naturel qu'il doit non pas fuir ou exploiter pour des profits illusoires mais respecter pour le bien de tous, ce qui conduit Julie à développer plus longuement sa réflexion sur le thème de l'écologie et des conduites individuelles et communes à adopter en toute fin d'ouvrage.

Mais de premières fois, il ne saurait être question sans évoquer la première fois en matière amoureuse, ou encore la première perte d'un être cher - pour elle sa grand-mère dépeinte avec les mots du cœur - et pour finir le moment où pour la première fois sa philosophie de la vie, ses idéaux se sont heurtés au réel bien souvent insupportable et décevant, pour ne pas dire tout simplement révoltant, au moment où il faut quitter le monde de la découverte par les études pour entrer dans la vie active, quand les réalités prosaïques viennent heurter ces idéaux et ces raisons de vivre. Et tout cela pour finir par laisser éclore un véritable talent dans l'enseignement, non sans connaître en préalable une remise en question éprouvante et non sans le soutien de la psychanalyse au moment de voir surgir les doutes existentiels les plus taraudants sur le pourquoi et le sens des choses.

Toutes sortes de premières fois qui ne sont pas que des sorties successives des cocons qui marquent nos premiers pas, de l'enfance au début de notre vie d'adulte, mais avant tout des expériences dont nous oublions bien souvent, les années passant, ce qu'elles eurent d'important pour nous, et c'est justement quelque chose que Julie Dollé n'a pas voulu laisser se perdre ; elle y revient avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité, car elle a vécu tout cela avec la hâte d'en savoir toujours plus, et son appétit de connaissances n'est jamais rassasié ; et ce n'est pas seulement la marque des personnes "précoces" mais aussi celle des éternels chercheurs.

Chapeau Julie, vous avez écrit un petit livre qui nous remémore autant de belles choses d'autrefois - pour vous un autrefois encore bien récent - que la Recherche du temps perdu de Proust, mais en plus court, nettement plus court, sans vous perdre dans les détails, et avec un vocabulaire de notre temps. Et Dieu sait, quand je dis cela, que je ne cherche pas à déprécier Marcel Proust dont je suis un grand admirateur. Je ne veux évidemment pas comparer Julie Dollé à Proust, mais il y a bien en elle quelque chose qui me fait un peu penser à lui. Or Julie Dollé ne l'évoque pas : elle nous parle de Zola, de Balzac, de Kafka, de Kant, de Hegel et de bien d'autres encore, pas de Proust, mais peut-être qu'elle s'y réfèrera par la suite, dans quelque autre écrit de sa main.
Son livre se lit avec plaisir, parce que l'on y relit (relie) aussi sa propre existence et c'est tout le talent de l'auteure d'avoir su, par sa fine analyse et ses réflexions, donner aux expériences personnelles qu'elles rapporte une portée plus générale.

François Sarindar


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