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Critique de nilebeh


J'aime toujours bien les livres qui apportent un éclairage sur une oeuvre d'art, peinture ou sculpture. En l'occurrence, ici il s'agit d'un peintre italien du Quattrocento, Vittore Carpaccio, et de son tableau intitulé « Deux dames vénitiennes », tableau exposé au musée Correr de Venise, peint vers 1490-1495.

L'auteur Edouard Dor propose quatre lectures de cette œuvre, immédiate, anecdotique, symbolique, sémantique.

Le premier des constats, c'est que la construction du tableau est étrange, deux femmes bien vêtues, l'une jeune, l'autre plus âgée, se tiennent comme retranchées dans un angle de terrasse, assises sur un banc, appuyées à la balustrade. le regard perdu dans le vide dirigé vers la gauche du tableau : lecture inhabituelle de l'espace peint, de la droite vers la gauche, renforcée par la lumière venue de gauche qui les inonde. Des animaux sont là : oiseaux, chiens ; des plantes aussi : lys, myrte, tronqués. Un petit garçon étrangement coupé en deux, tout comme le lévrier dont les pattes et le museau semblent dissociés. Le chiffre deux est là, omniprésent : deux femmes, deux plantes, deux colombes.
L'approche symbolique permet de donner à chaque animal, chaque plante, le rôle qu'il a à jouer dans l'interprétation de la peinture.
« De fait, au niveau du foisonnement des symboles issus pour l'essentiel des mythologies classique et chrétienne, Carpaccio nous donne à voir dans Les Deux dames la représentation du cycle d'une vie humaine, de la gestation à la mort."

L'auteur émet l'idée qu'il peut s'agir de deux aristocrates qui attendent le retour des hommes (idée renforcée par la présence d'une scène de chasse au-dessus du panneau), ou bien de deux bourgeoises aisées, ou encore de deux courtisanes. J'ai du mal à trouver une justification à cette dernière hypothèse.

Au sol, devant les pattes du chien, une lettre froissée et jetée là. Est-ce une missive apportée par le petit garçon ? Une lettre de rupture, d'amour, que la plus jeune aurait jetée ? L'auteur les voit pleines d'ennui, moi je ressens la plus jeune comme atterrée, en état de sidération. La lettre y est-elle pour quelque chose ?

L'analyse devient plus intéressante quand l'auteur regarde une partie séparée du tableau et qui se serait située au-dessus du portrait des femmes : une scène de chasse.
Edouard Dor avance l'hypothèse que le peintre vénitien a voulu peindre l'ennui, le vide, véritable injure à Dieu selon l'Église car source de tous les péchés. Comme dit l'auteur, « Est-ce bien cela ? Est-ce bien finalement cela que Vittore Carpaccio, artiste du Quattrocento, a peint ? Oui, à n'en pas douter. Il a osé. » Et ensuite, il est revenu à son habituel travail de peintures religieuses.

Au final, une analyse intéressante, qui force l'observateur à regarder avec attention, à savoir lire et interpréter, soit en suivant les orientations prises par l'auteur, soit en y apportant les siennes.

Sa dernière phrase résume bien le texte et la pensée de l'auteur :

p74 : « La fascination inexplicable que n'a cessé d'exercé ce tableau de Carpaccio, son intemporalité, sa pesanteur existentielle, laissent penser qu'au-delà du peintre s'est exprimé, à l'évidence clandestinement à l'époque, non seulement un poète, mais aussi avec certitude ce que l'on nomme un philosophe. »

Enfin, viennent deux intéressants rapprochements avec des œuvres plus modernes : Intérieur, femme à la fenêtre de Caillebotte (1880) et Room in New York de Edward Hopper (1932). Là encore, où l'auteur voit la peinture de l'ennui, je vois deux couples où la femme est seule avec elle-même tandis que le mari s'absorbe dans un journal, synthèse à mon avis du couple qui ne parvient pas à vivre dans la durée, ou du mariage de convenance. Je ne parviens pas à « voir » ce personnage que, selon Edouard Dor, la femme en bleu voit en face de sa fenêtre.


Une lecture intéressante (comme le fut en son temps « Nicolas de Staël, l'impossible concert » du même auteur. Un grand merci à Masse critique de Babelio et à la maison d'édition Espaces et Signes, dont la directrice a joint un gentil petit mot à cet envoi.
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