Ce dont je suis sûr, c'est que si je m'accroche, c'est toute mon existence que cette fille risque de chambouler.
Alors je me souviens de toi, de nous, de chaque instant passé ensemble et en particulier de ce fameux jour où je t’ai rencontré.
J’ai choisi ma vie, choisi un homme capable de ranimer mon cœur et le guérir sans me meurtrir plus que je ne le suis déjà.
Shade. Ca signifie "nuance". C'est pour toutes celles que la vie m'a volées.
Il semble captivé par ce qu'il y a à l'intérieur de moi. Par tout ce qui fait que je suis moi.
Parce que ce qui cloche, c'est moi, tout simplement, du Sommet du crâne à l'extrémité des orteils. Je n'ai pas été foutue d'être normale en venant au monde avec cette peau diaphane, ces cheveux trop blancs et ces grands yeux bleu si clair à la teinte légèrement rosée qui me mangent le visage.
Ce qui interpelle chez lui, c’est ce regard améthyste ensorcelant qui fait chavirer toutes les filles. Je n’ai jamais vu une nuance pareille. Une sorte de bleu myosotis hypnotique profond tirant sur le vermeil quand les rayons du soleil traversent ses iris magnifiques. Et lorsqu’il braque sur vous ces yeux-là, vous ne pouvez que succomber. La moitié des filles du lycée en a déjà été victime. Et l’autre ne tardera pas à rejoindre la longue liste des cœurs brisés par le beau Nathan Delbart. Pour être honnête, je n’aime pas les voir tourner autour de lui comme des vautours autour de leur proie.
Ses prunelles crépusculaires me transpercent de part en part. Quand il me regarde ainsi, je n’ai pas l’impression d’être transparente, de ne pas être qu’une ombre déambulant dans un monde qui n’est pas le sien, auquel elle n’appartiendra jamais. Non. Ses yeux à lui me retiennent, m’ancrent dans la réalité et entrevoient les tréfonds de mon âme. Il y a cette électricité dans l’air qui crépite, me rend fébrile et imprègne tout mon corps. L’attention qu’il me porte devient dérangeante, perturbante. J’en reviens même à regretter l’indifférence dont les autres me gratifient continuellement.
Et malgré ça, ils désirent que je sois normale ? Normale ? Ce putain de mot me brûle la langue et me laisse un goût de cendres dans la bouche. Car comment pourrais-je l’être en étant moi ? Au premier abord, on pourrait croire que je suis un ange, avec cette pâleur qui émane de mon corps et semble le nimber d’un halo argenté irréel, égaré dans ce purgatoire. Mais à l’évidence, je suis plutôt ce démon qui met en péril le fragile équilibre de leur paradis artificiel. Et tout autour de moi constitue mon enfer personnel.
Le lycée en fait notamment partie, là où chaque jour relève d’une véritable épreuve, là où chacun de mes pas me fait me sentir toujours plus différente. Je ne suis pas comme toutes ces filles stéréotypées avec leur teint parfait, leurs cheveux soyeux et ennuyeuses à mourir, auxquelles je voudrais désespérément ressembler. Juste me fondre dans le moule, entrer dans une case prédéterminée.
Parce que je ne veux la compagnie de personne ici, et que personne n’a jamais désiré la mienne. Tout aurait pu être différent si nous avions été réunis avec Giulia et Nate, mais la direction en a décidé autrement. Ils craignaient certainement que mon caractère de merde et mes pétages de plomb à répétition ne contaminent ceux qui auraient le malheur d’être trop proches de moi. Une sorte de pestiférée à éviter à tout prix. Et visiblement, ma tronche n’est pas une punition suffisante puisqu’en plus on me condamne à l’isolement pour ne pas affecter ces élèves si parfaits.