Ce livre parle d'un temps où l'on découvre, non sans peine, que la femme est l'égale de l'homme, que son corps n'est pas impur, que son esprit n'est pas débile, qu'elle est capable de juger du vrai, du beau et du bien, qu'elle peut même accéder aux sciences nouvelles, qu'elle a l'avantage de pouvoir être une créatrice en même temps qu'une procréatrice. Il y a de cela trois siècles dans la France de Louis XIII et de Louis XIV. Est-ce une si vieille histoire ? N'a-t-elle vraiment rien à dire, rien à apprendre à certains de nos contemporains ?
Peu importe les titres avancés et les concessions faites par Mme de Sévigné aux opinions de sa fille. L'essentiel, c'est que, pour elle, l'esprit d'une jeune fille se forme par la lecture de ce qui court alors dans le monde, romans héroïques et pastoraux aussi bien que livres d'histoire et traités de morale. Point d'enseignement spécialisé, point de programme scolaire. A la différence des garçons qui reçoivent dans les collèges un enseignement humaniste progressif qui va de l'apprentissage de la grammaire à la connaissance des principes de la rhétorique, c'est une formation sans projet défini, à partir d'auteurs français et italiens contemporains, que reçoit une fille comme Pauline. Elle se forme l'esprit à partir de libres réflexions, partagées avec sa mère, sur les livres à succès du temps, ceux que pratiquent au même moment les adultes de son entourage. Elle se cultive dans la fréquentation familière des ouvrages jugés intéressants par un groupe social qui sait à la fois s'en nourrir et les critiquer.
C'est dans la longue durée, entre 1540 et 1670 que s'est opérée, grâce l'anatomie, une première révolution essentielle. Malgré les combats d'arrière-garde et le poids des idées reçues, il est maintenant établi que la femme n'est pas un homme manqué, une créature placée au-dessous des son compagnon masculin dans la chaîne des êtres et des choses instituées par Dieu au commencement du monde.
D'un bout à l'autre du XVIIe siècle, enclenché sur une "querelle" qui remontait au siècle précédent, et même avant, court un long débat, aux arguments répétitifs, sur la nature et les comportements de la femme, décrite et évaluée par comparaison avec l'homme. Comme les "discours académiques" de Vertron le prouvent encore à la fin du siècle, il s'agit souvent de jeux rhétoriques, déconnectés de la réalité, où chacun soutient à plaisir le pour et le contre. Les auteurs, quelle que soit leur thèse, y reprennent à l'envi de vieilles idées, d'anciens préjugés, de fausses "vérités" scientifiques héritées d'un savoir dépassé. Fait significatif, ils n'invoquent jamais les trouvailles récentes de la médecine, qui pourraient leur fournir le fondement objectif d'une réflexion neuve sur le sujet qui les occupe. C'est qu'ils cherchent plus à briller en redisant à leur manière des lieux communs et des idées ressassées qu'à établir sur des bases solides d'effectives nouvelles relations entre les sexes.
Telle est et telle restera tout au long du siècle l'opinion des esprits éclairés sur le savoir des femmes. Elles sont capables d'apprendre. Celles qui appartiennent à un certain milieu ont le droit d'acquérir un certain savoir. Elles n'ont pas le droit de le montrer.
Accorder aux femmes le droit de décider en matière littéraire, c'est en effet introduire du désordre dans un monde réglé. C'est renverser l'ordre du monde de l'esprit.