AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de 5Arabella


La préciosités, et les femmes censées l'avoir portée, les Précieuses, sont définitivement associées au XVIIe siècle comme une de ses marques les plus distinctives. En reprenant mon Lagarde et Michard (désolée pour les plus jeunes qui n'ont pas connu ce monument aussi incontournable qu'horripilant ) je trouve tout un chapitre qui détaille la préciosité, la littérature précieuse, accompagné de quelques (rares) textes : Voiture, l'Astrée, Mlle de Scudéry… Et la fameuse carte du tendre. C'est à cette représentation officielle que s'attaque Roger Duchêne : qu'est-ce que la préciosité au XVIIe siècle, et surtout qu'est ce que la Précieuse qui l'aurait incarnée ? A-t-elle seulement existé ? N'est-t-elle que ridicule et affectation ? L'auteur est allé chercher à la source, dans les textes de l'époque pour essayer de trouver une définition, cerner son identité et préciser les enjeux qui se cachent derrière cette dénomination.

Précieuse en tant que substantif apparaît uniquement en 1654, c'est à dire tard dans le siècle, bien après la plus grande époque de la chambre bleue de L'Hôtel de Rambouillet, réputée le net plus ultra de la préciosité et des précieuses dans les manuels. Précédemment, utilisé comme adjectif, il est entièrement positif et attribué aux grandes dames que l'on souhaite flatter. Même en tant que substantif, il est régulièrement associé aux dames les plus en vue : nièces de Mazarin, des dames d'honneur de la reine etc. Des personnes influentes, censées être belles, intelligentes, spirituelles et qui donnent le ton à la bonne société. Sans forcément avoir grand-chose de commun entre elles ni avoir particulièrement à faire avec la littérature.

Roger Duchêne pointe une confusion entre la galanterie et la préciosité. La galanterie était surtout un art de vivre, un comportement social parfait dans la société qui l'a vu naître. Il s'exprime avant tout dans la conversation, c'est un art de plaire, qui exclu une approche trop sérieuse, art du brillant et de la distanciation. le galant homme (et la dame galante sans rien de péjoratif) remplace l'honnête homme du XVIe siècle en tant qu'idéal de l'homme social. La galanterie suppose la présence des femmes, mais l'amour n'est pas le seul, ni même le sujet principal. La galanterie s'intéresse à tout, il s'agit d'être plaisant, agréable, non pédant. Les galants sont les tenants d'une nouvelles culture, délivrée de l'emprise des doctes et de leurs règles, ne supposant pas des études poussés des Anciens, acquise par la conversation et la littérature en langue vulgaire, poésie et roman. Une culture accessible aux femmes, qui même issues de la meilleures société ne font pas d'études poussées, en particulier n'apprennent pas le latin. Il y a eu une littérature galante, en réalité, ce que notre vieux Lagarde et Michard classe en littérature précieuse, était appelé en son temps littérature galante. Cette approche galante permettait aux femmes de s'exprimer, de prendre position, de juger des oeuvres littéraires, et des oeuvres de l'esprit en général, puisqu'elle ne nécessitait pas des connaissances qui à l'époque, sauf des rares exceptions, n'étaient pas accessibles aux femmes. Elles en sont les bénéficiaires, mais cette nouvelle culture correspondait aussi à l'aspiration des hommes du monde, qui même mieux éduqués que leurs compagnes, préféraient une culture moins savante et moins rébarbative.

Parmi tous les textes qui évoquent les Précieuses, le plus fouillé et riche, est un roman de l'abbé de Pure, La précieuse ou les mystères des ruelles (les ruelles étant l'équivalent de ce qu'on appellera plus tard les salons). Malgré sa longueur, il n'arrive pas à définir réellement ce qu'est une Précieuse. Plusieurs pistes sont explorées, sans arriver à une conclusion. Les femmes de ce texte expriment une aspiration à une vie de l'esprit, se revendiquent comme êtres de raison et non pas uniquement de sensibilité et passion, et veulent juger dans le domaine de l'art et de la morale pratique. A l'époque du roman, cette revendication n'a rien de novateur, l'humanisme et la Réforme avaient déjà permis à des femmes d'exprimer ce genre d'aspirations, ce n'est pas une caractéristique suffisante de la Précieuse. Dans un tome suivant, l'abbé de Pure passe à d'autres questions, ceux de la condition de la femme, son rapport à l'amour et au mariage. Même si les femmes du roman discutent d'une façon très libre sur ces sujets, en se demandant par exemple s'il faut supprimer le mariage (questions déjà largement débattues par le courant philosophique libertin), elles finissent par une sorte de soumission aux normes sociales même si elles les déplorent. Elles s'émancipent plus dans la dernière partie de l'ouvrage, avec des revendications qu'on pourrait qualifier de féministes, en insistant par exemple sur l'éducation des filles.

Au final, le roman de l'abbé de Pure donne un panorama des questions et débats autour des femmes de son siècle dans leur ensemble, aussi bien critiques à leur égard que celles qui les défendent. Il est difficile de voir en quoi cela peut définir spécifiquement un groupe d'entre elles, les Précieuses. Mais le terme devient dans l'air du temps, et Molière va s'en emparer en 1659. Il y a un avant et un après Les précieuses ridicules ; le succès phénoménal de la pièce fait qu'on se réfère à elle pour dire ce que sont ces mystérieuses Précieuses.

Malgré tout, le vocable de Précieuse va continuer à être attribué à certaines femmes réelles de manière positive (la quintessence de la dame galante). Mais à côté, un aspect négatif va s'attacher au terme : une prétention au savant jusqu'à l'abscons, le refus du mariage voire de la sexualité, un désir de réglementer le langage, un côté affecté et maniéré. A quelques rares exceptions qui sentent le règlement de compte, ces aspects négatifs ne seront pas attribués à des personnes précises, mais à un groupe brumeux supposé, parfois qualifié de « fausses précieuses ». Un certain nombre d'attaques contre ce groupe relève d'une sorte de misogynie de toujours : vieilles filles laides, femmes à la sexualité frustrée, voire lesbiennes, qui cherche à discréditer sans vouloir mettre en discussion les supposées revendications de ces femmes. Les aspirations à une vie de l'esprit et une forme de liberté, y compris dans les rapports hommes-femmes se heurte à un mur de préjugés et un refus de remettre en cause les prérogatives masculines traditionnelles.

Je laisse la conclusion à Roger Duchêne :

« On doit plus généralement affirmer que la vraie précieuse, comme la précieuse ridicule, est une construction de l'esprit, une représentation, favorable ou défavorable, non d'un groupe de femmes défini dans le temps et dans l'espace, mais des questions que posait désormais la présence des femmes dans une société mondaine devenue mixte, où leur loisir et leur curiosité pour des sujets jusqu'alors défendus leur donnait une influence naissante, et même prépondérante ».

Un livre vraiment remarquable d'intelligence, d'érudition et de clarté.
Commenter  J’apprécie          183



Ont apprécié cette critique (15)voir plus




{* *}