AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Malaura


C'est par une belle journée d'été de 1914 que Gilberte Jansuire, 16 ans, amorce le récit de l'histoire des siens, une riche famille de fabricants de cerfs-volants et de ceux de Saint-Eutrope, petit village au bord de l'océan atlantique, près de Royan.
Un jour radieux de pique-nique en famille joint à l'occasion pour Gilbert, le père, d'essayer le dernier cerf-volant conçu dans les ateliers de la grande propriété familiale du « Bois des Abeilles ».
Mais en ce 1er Août 1914, les membres de la famille Jansuire vivent leurs dernières heures d'insouciance.
Pour Gilbert, qui voue un amour passionnel et douloureux à sa femme Adrienne, belle à couper le souffle, distinguée et coquette ; pour Bernadette, la soeur muette de Gilberte ; pour les grands-parents Gustave et Noémie ; pour l'oncle Léonce, secrètement épris de la femme de son frère, la belle Adrienne ou pour l'oncle Lucas, poète et rebelle…le tocsin qui se met à retentir à toute volée marque la fin d'une vie heureuse et tranquille passée ensemble.

Dans toutes les villes, dans toutes les bourgades, les clochers de France sonnent sans répit, annonçant lugubrement l'entrée dans le conflit avec l'Allemagne et le déclenchement de la 1ère guerre mondiale.
Devant la mairie, c'est l'attroupement général ; on affiche l'ordre de mobilisation. Tout le monde se précipite. On crie, on pleure, on a peur. Néanmoins un profond désir d'héroïsme se fait ressentir, surtout chez les hommes, une envie d'en découdre associée à la volonté farouche de reprendre l'Alsace et la Lorraine aux allemands.
Dans chaque foyer, on prépare le paquetage, la musette d'un mari, d'un fils, d'un frère. le village de Saint-Eutrope perd en quelques heures tous les bras vigoureux de ses hommes valides.
C'est une longue nuit de veille qui se prépare entre le 1er et le 2 Août 1914. L'humeur est sombre et exaltée tout à la fois. Personne ne s'imagine l'horreur dans laquelle tous bientôt vont basculer.
Puis c'est l'heure du départ ; on se rend à la gare. Sur le quai, au moment des adieux, on s'embrasse, on s'échange des promesses et de menus cadeaux, des porte-bonheurs, la photo d'une fiancée que le soldat portera sur son coeur…
Les femmes brandissent des fleurs tricolores, marguerites, coquelicots, bleuets, tandis que le train s'ébranle et que tous ces destins se séparent pour une longue nuit d'horreur qui va durer bien trop d'années. Sur les quais, des milliers de fleurs écrasées prennent la couleur d'un champ ensanglanté.

Au village, les femmes commencent à s'organiser ; il reste bien peu d'hommes. Toutes vont se serrer les coudes et faire montre d'une incroyable solidarité pour faire vivre qui une ferme, qui un atelier, qui un commerce.
Elles se substituent aux hommes, souvent dans des rôles très durs mais toujours dans l'espoir et la bonne humeur. Même si les temps sont rudes, l'absence des hommes est aussi synonyme de grande récréation pour celles qui sont régulièrement traitées en servantes dans leur propre foyer. La prise de responsabilités entraîne une volonté de plus en plus affichée d'indépendance. Symbole de cette nouvelle indépendance, la mode des cheveux courts qui s'étend partout et qui, au-delà des raisons pratiques, est un signe de révolte contre le joug masculin.

Pendant ce temps, la guerre fait rage. Dans les villages, il est difficile de savoir quelles tournures prennent les évènements. Des bruits commencent cependant à circuler sur les atrocités commises.
Avec les 1ères lettres et les 1ères permissions, on comprend toute l'étendue de l'horreur et dans quel cauchemar quotidien vivent les hommes plongés dans l'enfer des tranchées, sous les bombardements incessants, avec la faim, la vermine, les poux...

Au fil des mois les tragédies vont endeuiller St-Eutrope ainsi que la famille Jansuire. de nombreux disparus, de morts, des hommes revenant gravement blessés, amputés, mutilés, défigurés, gazés.
L'horreur est à son comble, le malaise et l'attente sont insupportables et « Au Bois des Abeilles » comme partout ailleurs, on attend fébrilement le jour où, dans cette France endeuillée, meurtrie, traumatisée, l'on pourra enfin panser ses plaies, soigner ses blessés et recommencer à vivre.

Que de sensibilité, de fluidité et d'entrain a mis Hortense Dufour dans cette grande fresque familiale ! Impossible de ne pas être happé par cette bouleversante saga, riche en émotions et en évènements !
Les nombreux personnages s'incarnent avec une facilité quasi cinématographique dans notre imaginaire de lecteur au gré de la plume enjouée, intelligente et délicate de la romancière et c'est avec avidité que l'on fait défiler les pages de ce roman qui combine avec brio, épisodes de la grande Histoire et récit de famille.
Avec beaucoup d'aisance et le plus grand naturel, la romancière entrecroise à la trame de son récit les événements qui ont jalonnés cette tragique période, des 8 millions de morts et de blessés graves recensés à la fin du conflit aux 12 000 morts français de la bataille de Soissons, du désastre de l'offensive du Chemin des Dames provoquant une révolte de soldats à la bataille de la Somme, de la Grève des Bras Croisés aux Fusillés de Craonne, jusqu'à la signature du Traité de Versailles.
Le force du documentaire, le soin porté aux détails de la vie quotidienne, l'attention consacrée aux personnages même les plus secondaires, les rebondissements, les moments de peines ou de joies, les sentiments exprimés…rien n'a échappé à l'oeil sensible de l'auteur de « Colette : La Vagabonde assise » ou de « La Marie-Marraine ».
Entre roman historique et fresque romanesque, « le Bois des Abeilles » est une immersion aussi belle qu'intéressante dans ces temps tourmentés de la Grande Guerre ainsi qu'un récit poignant sur les femmes, la découverte de leur force, de leur indépendance et de l'amour qu'elles portent aux leurs.
Et malgré les tragédies, le résultat est un livre plein d'espoir sur le dépassement de soi et sur « la force de vivre et de faire vivre ».
Commenter  J’apprécie          380



Ont apprécié cette critique (31)voir plus




{* *}