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Critique de HornMatter


C'est un livre de silence et de longue solitude. Tout commence, croit-on, avec la mère de l'auteure. Elle se lance dans la généalogie familiale. Avec tiédeur d'abord, sa fille l'aide. le passé, elle s'en est détourné. du sien peut-être d'abord. On imagine une enfance silencieuse et inquiète, une adolescence studieuse. Une famille dans laquelle on parle peu. Ou les mots, les signes, se recueillent pieusement. Il y en a si peu. Vraiment si peu pour tant de vide. de vide qui ne l'est pas vraiment, bien sûr, plein de non dits, de choses tues ou simplement omises, négligées. Plus loin dans le passé, il n'y a que le silence et la tristesse, et l'hécatombe. La guerre d'abord, et puis les accidents. L'un après l'autre, tous. L'arrière grand-mère morte de chagrin à la suite de son mari.
Morte de chagrin, est-ce sûr ? Sur un site d'archive, l'auteure fait une découverte. Les dates, les lieux de décès indiqués ne collent pas. Anne née Décimus est morte quarante ans plus tard que ce qu'on raconte. Dans une institution psychiatrique. C'est l'histoire d'un cheminement intérieur, puis d'une enquête. Que s'est-il passé ? Qui le savait ? Comment a-t-on pu taire cela ? Et surtout, quelle a été la vie de cette femme ? Son quotidien, ses pensées, au jour le jour de ce bloc inconcevable, ces quarante ans oubliés, gommés ? Etait-elle folle vraiment ? Et qu'est-ce que la folie ? Etait-elle révoltée ? Féministe avant l'heure ? L'auteure questionne, invente, doute. Cela parle d'elle aussi. D'un passager clandestin qui veut dire quelque chose à travers elle ; "Qu'est ce que ça fait de croire qu'on est la lune ? "
Peu à peu alors nous entrons dans la réalité du grand enfermement. Dans ces marges tues, dont on sait si peu de choses, dont on préfère savoir si peu de choses. C'est l'histoire d'une vie entière et ce n'est pas grand chose. L'effrayant mécanisme du passage de l'autre côté, de la disparition. Dans cet hors la loi d'où l'on ne revient pas.
Avec l'auteure, nous retrouvons quelques lettres, quelques lignées léguées par tant d'année. Etait-elle folle alors, Anne Décimus ? On la découvre patiente, obstinée, réclamer sa libération. Elle travaille à son dossier comme à un procès. le médecin peut la croire. le soleil, il la suit dans le dos. C'est parce qu'elle est sa fille. Ses mots ont la précision géniale de la souffrance quand le sol de la réalité se dérobe. Ils ont ce style précis, presque classique de l'école publique de la III. Jusqu'au bout, Anne Décimus restera une femme convenable et de bonne compagnie, avec cette pointe d'esprit, presque d'humour, qui l'accompagne jusque dans la distorsion. Et un puma dans le coeur. On aimerait dire que ce sont des mots de poète. Ce sont en tout cas des mots vrais. Il y a une réalité autrement folle et intense, de douleur, et d'ardeur. dans ces mots. On les retient, on les entend encore, percer comme la lumière le ressac terne de ceux qui nous inondent et qui ne pèsent rien.
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