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Critique de HundredDreams


Voulant absolument lire « La Pâqueline ou les mémoires d'une mère monstrueuse » d'Isabelle Duquesnoy, je me suis plongée avec délectation dans le premier tome, celui de « L'embaumeur ».
Au final, j'en ressors enchantée. L'auteure a consacré près de dix ans à écrire un roman riche, truculent, admirablement bien écrit.
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Victor Renard a commis un acte odieux pour lequel il est jugé, un délit dont le lecteur n'a pas connaissance, mais assez grave pour risquer la guillotine ou la pendaison.
« Je sais que ma condamnation est décidée, le récit des circonstances de mon forfait n'est, à vos oreilles, qu'un divertissement puisque vous en connaissez la fin ; vos gens m'ont surpris en flagrant délit. L'histoire de ma vie, ce sentier qui m'a conduit à commettre ma faute, ne servira qu'à persuader les foules de ma monstruosité. »
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Ce roman retrace les onze jours de son procès.
Le public se bouscule pour assister à l'audience, le lecteur étant aux premières loges pour profiter du spectacle.
Souhaitant obtenir de ses juges un peu de compassion, souhaitant peut-être aussi reculer le moment de son trépas, on ne peut que le comprendre, Victor ne ménage pas ces efforts pour expliquer ce qui l'a amené à cet acte horrible. Il retrace avec beaucoup de détails son parcours, depuis sa naissance jusqu'à cette affaire pour laquelle il est jugé. Voyeurisme, curiosité malsaine, fascination morbide. Son récit est addictif et instructif.
Durant tout le récit, je me suis demandée quel crime il avait pu commettre pour penser mériter une condamnation à mort. Et durant tout le récit, les hypothèses s'accumulent, distillant le suspens jusqu'au bout, pour le plus grand plaisir du lecteur.
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L'auteure a mis tout son talent pour composer des portraits originaux, particulièrement bien dépeints.
Affublé de nombreux surnoms ridicules, Victordu, Victorgnole, Victorve, Victorchon pour n'en citer que quelques-uns, Victor, le narrateur, se décrit tel que ses parents l'estiment. Ces déplaisants sobriquets dépeignent l'attitude malfaisante, haineuse et cruelle de ses parents.
« Assassin, fratricide, coucou, imbécile, voleur, tordu, vermine, j'étais tout cela depuis ma naissance. »

J'ai eu envie de m'attacher à Victor, vraiment, mais je ne sais pourquoi, je n'ai pas pu complètement.
Sa vie n'a pas été tendre, et malgré tout, il a de vraies valeurs. A certains moments, j'ai ressenti de l'empathie pour lui, mais les horreurs qu'il décrit avec froideur et détachement n'en font pas un personnage aimable, avenant.

Sa mère, la Pâqueline, est une femme grossière et méchante comme une teigne, qui éprouve une forte répulsion pour son fils. Son père est un être envieux, irascible et violent qui le martyrise au moindre faux-pas.
Elevé sans affection, sans amour, Victor, le fils au physique fragile et ingrat, ne rêve que d'arracher le coeur sa mère et de l'embaumer.
« Oui, je l'admets : je rêvais fréquemment au trépas de la Pâqueline. Je ne détestais point l'idée d'embaumer ma propre mère ; avec une délectation honteuse et malsaine, je me voyais fort bien ôter son coeur, le peser et constater que, conformément aux écritures antiques, le boyau pesait moins qu'une demi-livre de grains à poules faute de s'être gonflé des vertus et des bonheurs que les bonnes personnes unissent et sentent battre très fort dans leur poitrine. »
Quelle charmante famille !
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Pour échapper à sa misérable vie, Victor va devenir embaumeur. Son maître lui apprendra les bases de l'embaumement, des rites mortuaires et par la même occasion nous instruira des différentes techniques de conservation des viscères. Isabelle Duquesnoy, par ses descriptions sur l'embaumement des corps, m'a permis de découvrir le monde de la thanatopraxie et des soins apportés aux corps pour retarder provisoirement leur décomposition. Mélange d'obscénité, de répulsion et d'attirance, d'odeurs de putréfaction, mélange étrange de sensations.
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Le fond historique est aussi passionnant. Ce roman est incroyablement bien documenté sur les croyances et les moeurs parisiennes au XVIIIème siècle. L'auteure, diplômée d'Histoire de l'Art, a si bien écrit ce premier roman que l'arrière-plan historique ne nuit pas à l'intrigue, mais au contraire, la rend captivante et savoureuse.
On se croirait plonger au lendemain de la Révolution française, dans cette ambiance orageuse, dans ce décor fait de ruelles sombres, sordides et malfamées dont les odeurs nauséabondes prennent à la gorge, soulèvent le coeur, donnent la nausée.
J'ai été très intéressée par un fait méconnu, celui des « mumies ».
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Ce que je retiendrai aussi de ce roman, c'est cette écriture pleine d'humour. Un humour caustique, décapant, très noir, très ironique servi par des personnages hauts en couleur.
Les dialogues entre la mère et le fils sont souvent savoureux de cruauté, voire de sadisme. J'ai vraiment apprécié le détestable personnage de la Pâqueline. Dans son rôle de méchante, elle est vraiment extraordinaire. Elle est détestable, et plus rarement, elle est émouvante dans sa solitude et sa tristesse.
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Vous l'aurez bien compris, j'ai passé un très bon moment à lire les confessions de Victor.
Le choix affirmé de l'auteure de traiter de sujets graves et sérieux sur le mode de l'esprit plein d'un humour grinçant est une grande réussite.
J'ai adoré le style de l'auteure, un peu précieux et suranné, ce mélange d'écriture recherchée, vulgaire, morbide. J'ai aimé ces sensations contradictoires, ce mélange de fascination et de répulsion, d'empathie et d'aversion.
Et je n'ai maintenant qu'une hâte, c'est lire la suite, centrée sur ce personnage charismatique et fortement désagréable qu'est « La Pâqueline ».
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