AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de nilebeh


Marguerite, Jacky Durand



Marguerite fait partie de « ces petites mémères » de qui Jean Rochefort a déclaré un jour qu'il aimerait qu'on leur fiche la paix après ce qu'elles ont vécu, tant ce fut douloureux, honteux, perturbant, injuste aussi parfois.

Car cette Marguerite- là a vécu du mieux qu'elle a pu entre septembre 1939 et l'été 1945, dans son petit village de l'Est de la France où chacun sait et commente ce que fait le voisin. D'ailleurs, sa voisine Germaine ne s'est pas fait défaut de les observer, elle et son mari Pierre, derrière son rideau, pas très loin du cadre rayé d'un ruban noir qui représente son fils Célestin, mort au combat. Et pourtant Germaine deviendra une alliée, une amie pour Marguerite durant toutes ces années de solitude, seule à en crever, tenant bon et exécutant toutes les tâches, même les plus dures, que faisait son Pierre « avant ». La vieille dame la soutiendra, lui offrira de vrais repas cuisinés, dans de vraies assiettes, à elle qui n'en peut plus de fatigue et mange à même la casserole les légumes qu'elle fait pousser au potager, près du feu qu'elle se tue à alimenter du bois qu'elle peine à bûcheronner et à détailler en bûches sur son billot, comme un homme.
Car elle fait tout comme un homme, comme son homme, celui qu'elle a épousé un mois avant la guerre, dont le souvenir du corps et des caresses vient la troubler quelque temps, ravivé par l'odeur de vêtements qu'elle ne lave pas, puis, les mois et les années passant, qu'elle finit par ne plus reconnaître comme étant ceux de ce Pierre qu'elle attend, qu'elle attendait, qu'elle n'attend plus. le coeur muselé, la libido cadenassée. Marguerite ne sait même plus ce qu'elle attend. Les lettres maladroites se sont interrompues, une escapade un soir de Noël vers la ligne Maginot reste un souvenir flou.
Dans cette grisaille, ce dés-espoir au sens littéral, un rayon de soleil, une piqûre d'énergie : André, le jeune Gitan qui vient tous les dimanche chez elle manger un vrai repas et recevoir les vêtements qu'elle a préparés pour lui ; Raymonde, l'employé des Postes qui lui trouve un petit travail dans son service et fait en secret passer des juifs de l'autre côté de la frontière. de la tendresse, de la confiance, de l'énergie pour se trouver encore une raison d'être là, dans ce paysage morne et étouffant des années de guerre.

Alors, que s'est-il passé pour qu'au lendemain de la Libération, des hommes excités comme des fauves avides de sang, s'emparent de Marguerite et de son amie Josette, la malmènent et la poussent sous les griffes de la tondeuse du coiffeur local ? La poussent vers le désespoir et la douleur, jusqu'à se réfugier dans cette roulotte de la famille gitane qu'elle a tant aidée ?

Roman à l'écriture incisive, lapidaire parfois, ou bien se délectant de longues évocations du monde villageois de l'époque, là où rien n'est facile, rien n'est limpide, ni les méandres des pensées de Marguerite, ni l'hypothèse d'un futur tellement hasardeux.
Quand Frantz, cet Allemand atypique, fait son entrée dans la vie de Marguerite, c'est un petit souffle d'air léger qui arrive avec lui. On s'en veut de s'attacher à lui, tout comme Marguerite, et au final, on se dit : pourquoi pas ? Si l'humanité et la bienveillance dans ce monde fruste doit venir de l'ennemi, pourquoi pas ?

L'auteur ne juge pas, ne prend pas clairement position, n'exclut pas non plus la résilience. La vie n'est pas faite que de noir et de blanc, de tort et de raison. Facile ? Peut-être. Utile ? Sans aucun doute.
Commenter  J’apprécie          62



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}