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Critique de Fleitour


Quel est le prix de l'amour ? Marguerite Duras avait "Ce visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée", avoua-t-elle un jour, elle s'interrogeait, page 10, est-ce à ce prix que je vais connaître l'extase, est-ce le pacte noué avec l'Amant qui a engendré tant de laideur ?
Il a bien fallu payer son silence, mais fallait-il payer, par ce visage détruit, ce lourd et enivrant secret, cacher à la mère la vraie nature de sa liaison, le vrai visage de son consentement.


Elle sait, qu'il ne la connaîtra jamais, qu'il n'a pas les moyens de connaître tant de perversité, lui, se dit elle page 46, il ne pourra jamais. C'est à elle de savoir.
Le récit mené comme un disque vinyle, tourne en boucle. A chaque retour du bras à la position de départ, la limousine la déposera, la musique changera, s'embellira, en un partage de frissons, de brassées de gestes sur les corps avides et jamais rassasiés.
Les pages égrènent les nuits, s'enlisent dans les soubresauts de leurs désirs sans pouvoir rompre leur solitudes, combler leur soif et toucher enfin aux frémissements de l'amour. Page 47 il dit qu'il est seul avec cet amour qu'il a pour elle. Elle lui dit, qu'elle aussi, elle est seule.


Elle dit aussi, que la mère n'a pas connu la jouissance. Il n'y a plus entre eux que des interdits. Les interdits façonnent leurs désirs, aiguisent les amants, subliment chaque geste délicatement inconcevable, attendrissent l'amant quand il essuie le sang, la lave, et qu'il avoue page 49 qu'il est heureux.
Sa peau à lui est d'une somptueuse douceur, elle caresse l'inconnue nouveauté. Il gémit, il pleure.


Marguerite Duras invente peu à peu le rite romanesque de sa vie, que le gramophone enregistre sur la platine. Elle monte dans cette limousine noire, l'amant de Cholon est là avec son chapeau d'insolence et d'enfance.
Elle dira alors l'infamie d'une jouissance à en mourir. Chaque nuit était particulière. L'air était bleu, on le prenait dans la main. Bleu. Ils hurlaient aux mystères de leur amour toujours dans sa violence naissante.
Le temps des confidences finissait les nuits, la mère et ses désillusions, puis la mort du petit frère qui hantera ses nuits. le "je" rempli l'espace blanc des pages et raconte sa mère et s'attarde sur ses deux frères. Puis l'amant de Cholon la raccompagnait à la pension, à l'aube parfois.


Cette ronde s'épuise à l'approche du départ, dévoilant tous les détails de la mort du petit frère. Mais quand est-il mort? Je me souviens mal des jours dit-elle.
La cadencement du temps épouse sa lenteur, dans cette moiteur des nuits, mais un jour alors qu'ils approchent de la date du départ, l'amant ne veut plus la toucher. Il disait page 128, je ne peux plus te prendre. Il avait un doux sourire d'excuse.


On doit sans doute abandonner l'idée d'un roman construit autour d'une histoire, encore moins une fiction. le récit est autobiographique, mais dénué de repères, ou plutôt il est une brève période trop courte pour en faire un livre. Alors Marguerite Duras la raconte inlassablement comme ces choses, dites à la façon de Perrec, sous différents formes.


La musique est pourtant la même, les circonvolutions de l'amour enchanteront ou lasseront le lecteur. J'ai complètement dégusté ses maladresses, ses hésitations comme ses fureurs. Duras brasse la langue comme une bière d'abbaye, en recherchant l'amertume et puis l'ivresse. le langage se décale, se désunit, diffracte pour trouver des sens cachés inconcevables. La pudeur sait se fondre dans d 'autres rêves, où le flou et l'ambiguïté règnent, pour mieux nous perdre, " faites, comme ce que vous faites aux autres femmes", quoi de plus suave que l'incertitude.

Excellente littérature, un très bel exercice doux amère .

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