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Critique de de


Je reproduis les deux « encarts » ouvrant le livre.

« Pour Barbara Deming

Je considère que si nous sommes prêtes à affronter nos colères qui nous semblent les plus personnelles, dans leur état brut, et nous nous donnons la tâche de traduire cette colère brute en une colère destinée à rechercher un changement, nous nous trouverons dans une position beaucoup plus persuasive pour interpeller les camarades sur la nécessité d'extirper de toute colère la volonté de meurtre. Barbara Deming, On Anger et We Cannot Live Without Our Lives »



« À la mémoire de Sojourner Truth

Alors, les femmes ne réclament pas la moitié d'un royaume, mais leurs droits, et elles ne les obtiennent pas. Quand elles viennent les exiger, n'entendez-vous pas comment les fils houspillent leurs mères comme des serpents, parce qu'elles réclament leurs droits ; et peuvent-elles demander quoi que ce soit de moins ? […] Mais nous aurons nos droits ; regardez voir si nous n'y arrivons pas ; et vous ne pouvez pas nous en empêcher ; regardez voir si vous en êtes capable. Vous pouvez houspiller autant que vous le voulez, mais c'est en train d'arriver. Sojourner Truth, 1853 »

Les grands éditeurs n'aiment pas le radicalisme des féministes. Une puissante autrice comme Andrea Dworkin n'a pas trouvé place dans leurs collections. Il a donc fallu plus de quarante ans pour que ce livre trouve enfin un petit éditeur québecois engagé pour que nous puissions en lire une traduction en français. Merci aussi à Yeun et à Martin.

« J'ai donc pris la parole en public – non pas avec l'étalage improvisé de pensées ou l'effusion de sentiments, mais avec une prose façonnée pour informer, persuader, perturber, provoquer la reconnaissance, autoriser la rage ».

Dans sa préface, Andrea Dworkin aborde, entre autres, l'absence d'édition de ses travaux, ses conférences, la réception de son livre Woman Hating. Elle présente les contextes et les textes ici rassemblés. L'autrice parle aussi du travail d'écriture, de « la présomption systématique d'appropriation masculine du corps et du travail des femmes, la réalité matérielle de cette possession, la dévalorisation économique du travail des femmes », d'écriture « pour une voix humaine »…

Un ensemble de conférences et de textes publiés en 1974 et 1975 :

Le féminisme, l'art et ma mère Sylvia

Renoncer à l'« égalité » sexuelle

Se souvenir des sorcières

L'atrocité du viol et le gars d'à côté

La politique sexuelle de la peur et du courage

Redéfinir la non-violence

Fierté lesbienne

Notre sang : l'esclavage des femmes en Amérike

La cause première

Je souligne, une fois encore, la qualité de l'écriture d'Andrea Dworkin. Il s'agit bien d'une immense écrivaine, d'une écrivaine féministe, d'une féministe radicale. Ses idées, ses analyses, ses mots résonnent particulièrement en notre période de grande confusion et de contre-attaques masculinistes, de la soi-disant égalité-déjà-là, des mises sur la place publique des violences systématiques exercées par des hommes sur des femmes.

Quelques éléments choisis subjectivement.

Ce que les un·es et les autres attendent des filles, ce qui leur est interdit ou peu encouragé, « Puisque c'était une fille, personne ne l'a encouragée à lire des livres », l'enfance et la relation au père, « Je ne sais pas pourquoi il n'a pas fait de distinction entre sa petite fille et son petit garçon, mais il n'en a pas fait », la relation à la mère, « je la vivais seulement comme une ignorante, une personne sans grâce ou passion ou sagesse » puis fière « de ce qu'elle avait accompli », les événements qui font bouger les rapports sociaux, « la terre a parfois bougé », les pieds bandés de femmes en Chine, le massacre des sorcières, « J'ai appris quelque chose sur la nature du monde qui m'avait été cachée auparavant – j'ai vu un mépris systématique des femmes qui imprégnait chaque institution de la société, chaque organe de la culture, chaque expression de l'être humain », le devenir femme, « je suis devenue une femme qui savait qu'elle était une femme, c'est-à-dire parce que je suis devenue féministe », la saturation des visions du monde profondément misogynes, l'art masculiniste et le monde « habité d'une nouvelle manière » par les féministes…

Je souligne la force des pages sur la sexualité, le modèle sexuel masculin, « les hommes possèdent en faitl'acte sexuel, le langage qui décrit le sexe, les femmes qu'ils chosifient » et « aucun élément du modèle sexuel masculin n'est utilisable », le corps et la vie de nombreuses soeurs…

L'autrice revient sur les sorcières, le gynocide, « le gynocide est la mutilation, le viol ou le meurtre systématique de femmes par des hommes », la sorcellerie comme crime des femmes, les convictions meurtrières « d'érudits, de législateurs, de juges ».

Elle nous parle du viol et du gars d'à coté, « Je veux vous parler de viol, de ce que c'est, de qui le commet, contre qui, comment, pourquoi et de ce qu'il faut faire à son sujet pour qu'il ne soit plus commis », de l'assignation au mariage, « consignées de naissance à cette mort vivante légale et sociale appelée mariage », du dédain systématique envers « notre intelligence, notre créativité et notre force », du droit d'un homme au viol délimité par les textes religieux, de l'appropriation des filles et des droits propriétaires, du viol comme « crime contre le propriétaire de la femme », de la conversion ou de la mystification du viol en « amour romantique », de l'existence d'une femme « pour être baisée », du consentement aux rapports sexuels, « La notion de consentement aux rapports sexuels en tant que droit humain inaliénable d'une femme n'existe pas dans la jurisprudence masculine ; le retrait du consentement d'une femme n'est perçu que comme une forme socialement acceptable de marchandage et la notion de consentement n'est respectée que dans la mesure où elle protège le droit de propriété du mâle sur son corps à elle », de la définition du viol en tant que « crime social » et crime sexiste, des hommes normaux, du viol conjugal, de la très faible condamnation des violeurs, du retournement de réalité en présumant que la femme ai pu provoquer le viol, du danger pour toutes les femmes, du racisme et du sexisme, des hommes comme « classe de sexe privilégiée », des viols de guerre « les femmes sont perçues comme les biens meubles d'hommes ennemis », des rituels de la confrérie privilégiée des gars…

« le viol est donc la conséquence logique d'un système de définitions de ce qui est normatif. le viol n'est ni un abus, ni une aberration, ni un accident, ni une erreur – il incarne la sexualité telle que définie par la culture ».

L'autrice insiste sur l'importance des centres d'accueil pour femmes violées, l'autodéfense, l'anéantissement de la « structure de la culture telle que nous la connaissons », le désapprentissage de la passivité…

Elle parle aussi de la peur et du courage, de la construction de la féminité et de la masculinité, de la suprématie masculine, de la condition masculine pensée comme unique condition humaine, de la possession du phallus comme marqueur de valeur, du manque comme construction genrée, de la peur comme « réponse acquise », de mutilation…

« le projet féministe est de mettre fin à la domination masculine – de la rayer de la surface de la Terre. Nous voulons aussi mettre fin aux formes d'injustice sociale qui découlent du modèle patriarcal de la hiérarchie masculine – à savoir, l'impérialisme, le colonialisme, le racisme, la guerre, la pauvreté, la violence sous toutes ses formes ». Andrea Dworkin parle de la nécessité de détruire les identités sexuelles masculine et féminine – une approche autrement subversive que la défense et le renforcement des identités sexuelles prônée par des « transactivistes » -, de construction d'une nouvelle culture « non hiérarchique », de récusation de la sexualité génitale, de nouvelles « formes visionnaires de communauté humaine »…

L'autrice ouvre de passionnantes discussions autour de la non-violence, de la fierté lesbienne, « Cet amour des femmes, c'est le sol dans lequel s'enracine ma vie. C'est le sol de notre vie commune à toutes. C'est de cette terre que je me nourris. Partout ail- leurs, je dépérirais. Quelles que soient mes façons d'être forte, elles tiennent à la force et à la passion de cet amour nourricier », de l'esclavage des femmes en Amérike, des « chagrins hérités », du mariage comme tombeau, de la création de la « femme-comme-ornement », de l'esclavage étasunien, de la désobéissance civile, de la cruauté macabre de la pornographie, de l'acte de baise, du système de polarité de genre…

« La première tâche, en tant que féministes, est d'apprendre à voir de nos propres yeux »

Lien : https://entreleslignesentrel..
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